CECI n'est pas EXECUTE 7 janvier 1865

Année 1865 |

7 janvier 1865

Hippolyte Violeau à Alfred de Falloux

Morlaix1, 7 janvier 1865

Monsieur le comte,

Madame de Falloux me dit, dans sa bonne et indulgente lettre, que votre Itinéraire de Turin à Rome2 a été adressé depuis 15 jours. Je ne l'ai reçu que le trois de ce mois, et c'est pourquoi je n'ai pu vous en remercier encore. Toutes les pages de ce volume m'étaient connues ; je les ai lus successivement quand vous les avez publiés pour la première fois ; mais réunis, comme elles le sont aujourd'hui, elles ont à mes yeux une autorité nouvelle. Il appartient peu à un modeste compteur de louer les hautes qualités de l'homme d'État ; et, cependant, comment ne pas vous dire toute mon admiration pour votre discours de 1849, et les divers écrits qui l'ont suivi, sur la question italienne? Je ne puis m'empêcher de regretter cette magnifique discussion, dans laquelle, à quelques semaines d'intervalle, on entendait des paroles comme les vôtres, et comme celle que prononça notre glorieux champion Montalembert, le 19 octobre ! M. de Montalembert ! Assurément, l'on peut ne pas partager toutes ses opinions ; ne pas aller aussi loin que lui sur tel ou tel point ; mais comment refuser à ce grand cœur, à ce généreux caractère, à ce talent merveilleux toujours inspiré par le dévouement le plus ardent, le plus pur, aux intérêts de la religion et de la société ; comment lui refuser les sympathies les plus reconnaissantes et les plus profondes ? Tous les deux, et de moins illustre avec vous, vous êtes et vous resterez au premier rang parmi les défenseurs de l’Église en ce temps calamiteux où le péril est partout et la consolation presque nulle part. L'un et l'autre, et vous peut-être d'une manière plus frappante encore, vous avez reçu d'en haut le don de seconde vue ; vous avez été prophète, comme Châteaubriand le fût aussi, parfois, avant vous. Je relisais, tout à l'heure, votre lettre sur le voyage impérial dans notre Bretagne, lettre que je me hâtai de copier, en 1858 ou 59, dès qu'elle arriva jusqu'à moi, et dont tous les sentiments, toutes les pensées m'allaient droit au cœur. Sans vouloir manquer au respect, à la soumission, je m'arrêtais à l'instant avec une affliction véritable à ce passage que l'avenir pourrait bien justifier une fois de plus.

Votre point d'appui au dehors, votre force, vos échos, où sont-ils ? Eux aussi, vous leur avez donné congé sans leur assigner de retour. Qui vous garantit leur exactitude à l'heure du péril ? Oserez-vous reparler de liberté ? Qui vous écouterez ? Qui se rallierait à votre cri ? Vos anciens auxiliaires, sans doute ? Oui, assurément ce sera leur plus simple devoir et leur premier mouvement : les ingratitudes, les apostasies sociales n'auront pas laissé l'ombre d'une trace dans leur mémoire quand leur dévouement pourra vous servir ; mais désavoués, reniés par vous, quels secours vous apporteront-ils ? Leurs armes étaient des principes. Si ces vieux auxiliaires ont eu l'honneur de vous être utiles quelquefois dans le passé, c'est qu'ils, combattaient avec vous, en même temps que vous. Vous avez tenu, depuis quelques années, à marquer jusqu'à l'insulte votre séparation, et le public ne s'en souviendra jamais tant que le jour où vous voudrez lui faire oublier.

Il y a dans les lignes que je viens de citer une vérité si incontestable, si évidente, que j'en suis épouvanté.

Je vous remercie aussi, Monsieur le comte, de votre bienveillante intervention dans les bureaux du Correspondant. Lorsque j'écrivis à Madame de Falloux, le fait grave auquel je faisais tout à l'heure allusion n'avais pas eu lieu où je l'ignorais ; sans cela je me serais bien gardé de détourner un instant, sur un volume de contes, votre attention si sérieusement occupée ailleurs. Si vous l'avez pas encore écrit, abandonné le livre à sa mauvaise chance, un si petit intérêt n'étant plus rien au milieu des préoccupations actuelles. Je vous sais, déjà, un gré infini de l'attention et je vous prie d'agréer ainsi que Madame de Falloux, l'assurance de mes sentiments de profond respect et de gratitude.

Hippolyte Violeau

1Ville du Finistère où H. Violeau a établi sa résidence.

2Falloux venait de rééditer cet ouvrage publié en 1861 et dans lequel il critiquait vivement la politique française à l'égard du Vatican.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «7 janvier 1865», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 27/03/2015