CECI n'est pas EXECUTE 26 mars 1870

Année 1870 |

26 mars 1870

Alfred de Falloux à Couvreux

Bourg d'Iré, 26 mars 1870*

Cher Monsieur l'abbé,

Je suis bien en retard avec vous mais je suis bien sûr que je n'ai pas besoin de vous dire mon excuse et que votre compassion l'a bien devinée. Chaque jour a apporté une aggravation : , l'abbé Combalot1, l'évêque de Tulle2, la lettre à Dom Guéranger, sont venus frapper sur nous à coups redoublés, et nos blessures personnelles se perdent dans la blessure universelle. La collection de l'Univers depuis quatre mois est un monument d'infamies que les plus sévères pour toute cette ligne se seraient refusés à prévoir. Il est bien simple, quand on insulte incessamment les nations, qu'on ne ménage pas les individus. Mais que la majorité de l'épiscopat français se taise, que cette majorité ne comprenne pas qu'en se laissant personnifier ainsi devant la chrétienté elle déshonore le caractère ecclésiastique et rend le nom catholique responsable et presque synonyme d'une véritable sauvagerie, c'est ce qui dépasse l'entendement, et l'expérience ne tardera pas à en montrer les beaux résultats. J'écrivais avant d'hier à Mgr d'Orléans3 que le concile seul peut sauver le concile. Je crois de jour en jour davantage. Le pape4 n'est évidemment plus en possession de lui-même, la presse religieuse a été préparée et travaillée de longue main, l'Union est devenue absolument hostile, le ministère est très divisé et très pris au dépourvu sur de telles questions ; tous les yeux demeurés ouverts se tournent donc vers ce petit groupe d'évêques qui gardent le souci des âmes, qui les connaissent, qui les aiment et qui, avec la grâce de Dieu, finiront par changer les bonnes intentions intelligentes et inertes en concours du dernier moment. Beaucoup de mal fait demeurera irréparable pour plusieurs générations, car le déshonneur est une maladie grave ; mais si la vérité demeure intacte, les incidents s'effaceront et l'avenir chrétien reprendra sa marche.

Dans une telle crise, cher Monsieur l'abbé, c'est tomber bien bas que de revenir à ce qui me concerne et je puis vous assurer en toute sincérité qu'aujourd'hui je ne m'accorde plus une seule pensée à moi-même. Je veux cependant, par acquit de conscience, vous rendre mon compte jusqu'au bout. Voici donc ma réplique à Monsieur l'évêque d'Angers5. Vous y verrez, par la brièveté des premières lignes et par le post-scriptum, que je n'ai pas voulu me montrer plus dupe que de raison. Par le reste consacré à M. l'archevêque de Cambrai6, vous verrez que je suis toujours fidèle au même sentiment : c'est que les énergumènes demeureraient des criminels impuissants sans la stupide complicité des prétendus modérés. Assurément, et à mon bien grand regret, je ne puis rien changer à cela, mais je puis du moins saisir les moindres occasions de parler avec franchise et c'est ce que je fais, tout prêt à entrer dans d'une carrière plus large, si elle était ouverte. Ni l'abbé Mermillod7, ni l'abbé de La Bouillerie8, ni l'archevêque de Tours9, ni personne ne m'a jusqu'ici accusé réception des numéros de l'Union de l'Ouest. Je ne m'en étonne guère. J'écris à Mgr Strossmayer10 mon bien profond remerciement ; veuillez lui renouveler mon plus respectueux hommage.

Que la dernière brochure de Mgr d'Orléans est belle, belle de la suprême beauté de la autant que de toutes celles de l'esprit. De telles pages auraient été saluées par l'acclamation unanime de l'assemblée conciliaire si la plus vulgaire sagesse humaineavait devancé les opérations futures est bien miraculeuse du Saint Esprit. Merci, merci mille fois, cher Monsieur l'abbé, de vos précieuses lettres. Ne me les refusez pas trop, je vous en supplie.

Alfred

J'ai eu hier une lettre de Cochin sur l'évêque de Nevers11, qui n'est pas bien bonne.

 

 

 

 

*Lettre conservée aux Archives dépatementales du Maine-et-Loire.

1Combalot, Théodore (1797-1873), prêtre du diocèse de Grenoble, disciple de Lamennais, il s'en éloigne après sa condamnation par Grégoire XVI et se lie d'amitié avec le père d'Alzon.

2Mgr Berteaud, Léonard (1798-1879), évêque de Tulle depuis 1842, est un ami intime de Louis Veuillot.

7Mermillod, Gaspard (1824-1892, ordonné prêtre en 1847, il fut nommé curé à Genève (1857), chargé du canton de Genève (1864), puis vicaire apostolique de Genève, détaché de Lausanne (1873), ce qui provoqua une réaction du gouvernement suisse et son exil. Intransigeant, proche des frères Veuillot, il figurait parmi les partisans les plus ardents d'une définition de l'infaillibilité pontificale. Il sera nommé cardinal en 1890.

8Roullet de La Bouillerie, Alexandre François (1810-1882). Évêque de Carcassonne depuis 1855, Mgr de La Bouillerie s'était lié à Falloux lors d'un voyage qu'ils avaient effectués ensemble en Allemagne, en Russie et en Pologne en 1836, soit deux ans avant qu'il ne se décide à entrer dans la prêtrise. L'entente entre les deux hommes s'étaient néanmoins détérioré progressivement et définitivement après 1848. Ne partageant pas le libéralisme catholique de Falloux, l'abbé deviendra un allié de L'Univers et du catholicisme intransigeant. Bouillerie François Roullet de la (1810-1882), ordonné prêtre en 1841, il exerça son première ministère au petit séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet dont Dupanloup était supérieur. Peu après il vint se mettre à la disposition de l'archevêque de Paris, Mgr Affre, qui en fit son vicaire général titulaire et le nomma archidiacre de Sainte-Geneviève. Il conserva sa place auprès de Mgr Sibour, le successeur de Mgr Affre à l'archevêché de Paris. Il fut nommé évêque de Carcassonne, le 6 février 1855. Le 16 décembre 1872, il deviendra coadjuteur du cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, avec le titre d'archevêque de Perga. Ultramontain, il sera l'un des partisans les plus ardents du dogme de l'infaillibilité pontificale.

9Mgr Guibert, Joseph-Hippolyte (1802-1886). Il avait été nommé à l’archevêché de Tours le 4 février 1857. Plutôt gallican à l’origine, il ne montrait guère de sympathie pour lUnivers. Il fut nommé archevêque de Paris en 1871 en remplacement de Mgr Darboy tombé sous les balles des Fédérés.

10Strossmayer Joseph George (1815-1905), ecclésiastique et homme politique croate. Il fut nommé évêque de Djakovo en 1850. Il fut l'un des hommes les plus influents de la minorité au concile et n'adhéra au dogme qu'en 1872. En 1860, il était devenu le chef du Parti populaire croate. Il fut élu au Parlement croate en 1866. Ayant échoué dans ses tentatives pour constituer une fédération de la Croatie avec la Hongrie, il se retira de la vie politique active en 1873, prenant peu à peu ses distances avec le Parti populaire croate qu'il avait cessé de diriger.

11Mgr Forcade Théodore-Auguste (1816-1885), évêque de Nevers depuis 1860, il rangea dans le camp du Tiers Parti lors du Concile.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 mars 1870», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1870,mis à jour le : 12/06/2015