CECI n'est pas EXECUTE 3 juin 1874

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3 juin 1874

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Paris, 3 juin 1874*

Chère Madame,

Je viens de passer huit mauvais jours qui m'ont mis en retard pour tout et avec tout le monde. Une opération de dentiste très douloureuse, quoique très habilement faite m'a jeté dans une névralgie exceptionnellement dure et longue. J'ai cependant voulu aller prendre des nouvelles de la duchesse de Galliera1 avant de répondre à votre dernière lettre. Je l'ai touvée très brillante et venant de fermer une lettre à votre adresse. Je n'ai donc rien à compléter sur ce sujet. La rue de Grenelle2 va très bien aussi, et je me propose d'aller ce soir regarder dîner le marquis de Juigné3, que je n'ai pas encore vu depuis son retour à l'Assemblée.

Mes trois femmes sont à cette heure-ci en route pour Néris4, et j'irai les y rejoindre aussitôt que j'aurai mis ordre aux plus gros arrirérés qu'a entraîné ma réclusion forcée, c'est à dire sous deux ou trois jours, sur lesquels je prendrai une visite à Versailles. Je la ferai avec tristesse, car j'y trouverai de grands criminels bien odieux et de petits criminels bien lâches5, puisqu'ils se rendent compte du mal qu'ils font, sans savoir ni vouloir présider. C'est un bien triste spectacle, qui révolte justement les uns, et pousse bêtement les autres vers l'Empire, qui fait de jour en jour les plus visibles progrès. Je sais par Albert de Rességuier les bonnes nouvelles de l'hôtel Gontaut6. J'ai essayé de voir M. de St-Blancard7, et je l'ai manqué ; il a eu la bonté de me chercher, et j'étais dans mon lit. Veuillez répéter à Elie8 mon plus fidèle et mon plus tendre souvenir.

Je ne passe jamais devant la porte de l'hôtel Gontaut sans battement de cœur.

J'en éprouverai un bien vif aussi, chère Madame, en revoyant Néris.

J'aurais, à tous les points de vue, préféré Evian, mais M. Letord9 et les médecins d'Angers ont été absolument formels en faveur de Néris pour Marie. Dieu veuille du moins qu'elle y trouve un bénéfice proportionné au sacrifice qu'elle s'impose et à la fatigue qui commence déjà car son voyage a débuté avec une excessive chaleur.

Je n'ose plus adresser cette lettre tardive à Sagan10, et je regrette bien d'avoir perdu cette occasion d'y faire parvenir mon hommage. Quant au Palais Radziwill11, il sait d'avance tout ce que je lui adresse.

A. de F.

 

 

*Archives Nationales

1Marie, duchesse de Galliera, née Brignole-Sale (1812-1888).

2Son ami Albert de Rességuier y avait élu domicile.

3Charles Le Clerc de Juigné, marquis de Juigné (1825-1886).

4Néris-les Bains, dans l'Allier. Falloux y effectua également plusieurs séjours pour soigner ses névralgies.

5Falloux désigne ici les légitimistes qui ont pris le parti de rester des inconditionnels fidèles au comte de Chambord.

6Situé dans l'île Saint-Louis, l'hôtel construit en 1640 est la propriété de la famille Gontaut-Biron depuis le XVIIIe siècle. Gontaut-Biron, Élie de, vicomte (1817-1890), diplomate et homme politique. S'occupant d’œuvres charitables sous l'Empire, il entra en politique après le 4 septembre, se faisant élire en 1871 représentant des Pyrénées Orientales. Siégeant à droite, il se fit inscrire aux réunions Colbert et des Réservoirs. En janvier 1876, il fut élu au Sénat dont il sera membre jusqu'en 1883. Entre-temps, il avait été nommé par Thiers ambassadeur à Berlin, poste qu'il occupa du 4 janvier à sa démission en décembre 1877. Rentré dans la vie privée en 1882, il publia quelques articles remarqués dans le Correspondant, notamment (25 octobre 1889) contre l'alliance des monarchistes et des boulangistes.

7Saint-Blancard, Louis Armand de Gontaut-Biron (1813-1897), marquis de.

8Elie de Gontaut-Biron. Voir note ci-dessus.

9Médecin de famille.

10Situé en Pologne, le fief de Sagan appartient à Pauline de Castellane.

11Située à Berlin, ce palais appartient à la famille Radziwill à laquelle est apparentée la famille Castellane, Marie Dorothée Élisabeth de Castellane (1840-1915), fille de Pauline de Castellane, ayant épousé le 3 septembre 1857, à Sagan, en Pologne, Frédéric-Guillaume-Antoine, prince Radziwill (1833-1904), militaire prussien. Femme de lettres, on lui doit la publication des Souvenirs de sa grand-mère, la Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Paris, Plon, 1909-1910, 4 vol


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 juin 1874», correspondance-falloux [En ligne], 1874, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 14/07/2015