CECI n'est pas EXECUTE 3 novembre 1874

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3 novembre 1874

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Bourg d'Iré, 3 novembre 1874*

Chère Madame,

Made de Caradeuc et Loyde vous remercient beaucoup de votre bonne lettre, et nous en avons joui avec elle, mais comme elles aussi avec le mélange des regrets inquiets qui salue toujours votre propre écriture. Nous vous envions bien la présence de la princesse Czartoriska1 et si on pouvait mettre ses oreilles sous enveloppe, je ne manquerais pas de vous envoyer les miennes pour huit jours au moins. Veuillez mettre à ses pieds mon hommage, sous la forme la plus respectueuse et j'oserai dire attendrie, car son souvenir demeure toujours pour moi inséparable de celui de Montalembert2.

Bertou me demande quel sens je donne aux expressions dures qui commencent l'excellente lettre à l'évêque d'Orléans...Je ne leur en donne aucun sinon que les documents Romains sont malheureusement et invariablement confiés depuis quelques années à ses subalternes mal élevés et mal inspirés, que le Pape a selon moi le grand tort de supporter après avoir eu le tort de les choisir, mais qui me dispense d'y chercher sa pensée personnelle. Tout cela se passe sous ses pieds, sans qu'il prenne assez souvent la peine de baisser la tête pour y regarder, et je crois que ce serait du travail perdu que de rechercher trop loin dans le détail. J'en ai, à cette heure-ci, un frappant exemple sous les yeux. Au moment où vous lisez l'éloge complet et public de l'évêque d'Orléans, signé par le Pape, ce même Pape nomme protonotaire apostolique un abbé Fèvre3 qui vient de publier, à l'usage des Séminaires, un énorme volume où l'évêque d'Orléans après avoir été comparé à Judas, est traité de batard qui aurait dû être exclu des ordres, et on lui donne pour père le roi de Sardaigne, Charles-Albert4. Si vous avez lu dans l'Union de l'Ouest, ou si l'Union, de Paris, a reproduit la lettre de M. Nocella5 à l'abbé Morel à propos de la Roche-en-Brenil6, vous retrouverez le même système. Quant au fait spécialement relatif à l'évêque d'Orléans, il avait fait poster sa brochure à Rome par l'abbé Lagrange7 qui est parvenu à traiter directement de la réponse avec le Pape qui a eu,sur ce sujet, une vive altercation avec M. Mercurelli8, et qui, une fois sa réponse dans sa poche est partie par la grande vitesse afin qu'on ne pût pas la lui répondre. Si Cumont n'en fait pas autant pour l'abbé Langénieux9, je crains bien que le ministère ne meure avant de l'avoir nommé.

La pauvre Marie va être mise à une grande épreuve par l'arrivée du jeune ménage de Blois10, passant par le Bourg d'Iré en rentrant de Bretagne en Anjou. Elle n'est point encore résignée à ce régime de réclusion ; on a de la peine à l'y soumettre, et quelquefois on la croirait mondaine à l'entendre. Tachez du moins, chère, chère Madame, de la consoler par vos meilleures nouvelles.

A. de F.

 

 

L'évêque et l'abbé Lagrange sont revenus à Orléans, et paraissent devoir y rester jusqu'au retour de Versailles.

 

 

*Archives Nationales

 

1Marcelline Czartoryska (1817-1894), née Radziwill, épouse du prince Alexandre Czartoryski.

2Musicienne de talent, Marcelline venait plusieurs fois par semaine chez son ami Charles de Montalembert et jouait au piano plusieurs morceaux de son répertoire.

3Fèvre, Justin (1829-1907) curé, prélat de la Maison du pape en 1863, vicaire général de l'évêque d'Amiens, Mgr Jacquenet, de 1881 à 1884, publiciste, il se distingua par ses attaques contre les catholiques libéraux.

4Charles-Albert de Sardaigne (1798-1849). Il avait lancé un appel à l'unité italienne et à la lutte contre l'occupation autrichienne. Battu par les troupes autrichiennes à Novare (mars1849), son rêve de l'indépendance italienne s'éloignant, il abdique en faveur de son fils Victor-Emmanuel II. Retiré à Oporto il y meurt quelques mois plus tard.

5Carlo Nocella (1826-1908), prélat italien. Ordonné prêtre en 1849, il exerça diverses fonctions dont le professorat à Rome avant d'être nommé secrétaire de la S. Congrégation Consistoriale (1892-1899), puis patriarche titulaire d'Antioche en (1899-1901) et Patriarche de Constantinople de 1901 à sa mort. Il sera créé cardinal lors du consistoire du 22 juin 1903.

6L'abbé Jules Morel, très hostile aux catholiques libéraux venait de publier La suite de l'inscription de la Roche-en-Brenil, ou preuves de l'existence de l'organisation du parti catholico-libéral en France, V. Palmé, 1874.

7François Lagrange (1827-1895), secrétaire de Mgr Dupanloup; vicaire général d'Orléans en 1860, chanoine titulaire de Paris en 1880, évêque de Chartres en 1889. Il venait de publier une importante biographie de Mgr Dupanloup, Vie de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, 3 vol., Paris, 1883-1884.

8Mgr Francesco Mercurelli (1808-1892), camérier secret à la curie romaine, secrétaire de la Congrégation consistoriale.

9Mgr Langénieux, Benoît-Marie (1824-1903), ordonné prêtre en 1850, il fut nommé évêque de Tarbes en 1873, puis archevêque de Reims le 11 novembre 1874.

10Blois Georges Aymar, comte de (1849-1906) neveu de Falloux, propriétaire du château de Huillé (Maine-et-Loire). Maire de Daumeray (Maine-et-Loire) en 1888 puis conseiller général du canton de Durtal (Maine-et-Loire), il fut élu sénateur du Maine-et-Loire en 1895. Réélu en 1897 puis en 1906, il prit place au groupe de la droite monarchiste. Propriétaire d'un domaine agricole, ayant hérité de son oncle Falloux, les célèbres étables du Bourg d'Iré, il intervint dans la plupart des débats agricoles. Il publia les Mémoires d 'un royaliste de son oncle peu après son décès.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 novembre 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 23/03/2016