CECI n'est pas EXECUTE 28 juin 1857

Année 1857 |

28 juin 1857

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Paris, 28 juin 1857*

Chère Madame,

Je ne veux pas achever mon séjour de Néothermes1 sans vous en rendre compte et sans vous dire combien la comme ailleurs ma pensée a été occupée de vous, de vos épreuves, de vos afflictions et de vos espérances. Je me suis tenu le mieux que j'ai pu au courant de toutes vos santés et j'ai été loin d'y trouver l'exhaussement de mes vœux, ce qui ne m'empêche pas de les continuer avec ferveur, en y comprenant bien entendu Madame votre mère et tous les Radziwill2.

Dans cet intervalle je n'ai pas été moi-même sans quelque agitation personnelle. Mon frère3 est arrivé de Rome et a passé une quinzaine de jours ici, allant de là m'attendre à Caradeuc. Mes compatriotes ont imaginé de me décerner un banquet arrangé pour célébrer ma réception académique4. Quoique très touché d'une démonstration si amie, je m'y suis d'abord refusé, mais au bout de peu de jours l'affaire s'est compliquée de M. Villemain se rendant à Angers chez sa fille. La fête a pris alors des proportions qui ont vaincu toute résistance et j'ai dû interrompre mon traitement pour aller prendre ma part des fêtes et prononcer des discours dont vous verrez un extrait dans le Journal des Débats du 25 de ce mois, que je ne vous envoie pas, parce que je ne sais entre toutes les mains qui vous entourent et surtout parce que je n'ai aucune envie que vous le lisiez. C'est de la pure académie et je ne me sens jamais justifié à mes propres yeux, quand je me mets en avant sans servir une cause ! Mais où et par où servir désormais, chère Madame ? La déroute est plus précipitée que jamais dans tous les rangs qui semblaient unis ou prêts à s'unir il y a quelques années. Les élections qui viennent de s'accomplir ne l'arrêteront pas ! Il y aurait une grande leçon pour Mme la Desse d'Orléans5, si elle voulait la comprendre. Toutefois cette leçon n'est pas plus forte que celle du 24 février6 ; comment espérer qu'elle frappe davantage. C'est elle qui, par des intermédiaires bien connus, vient de pousser le Journal des Débats jusqu'à l'alliance républicaine. Il est temps de donner l'assaut au gouvernement, a-t-elle dit écrit de toutes parts ; les républicains seuls peuvent le donner et ouvrir la brèche par laquelle mon fils passera. Ce calcul a obtenu le succès que vous connaissez maintenant : il a rejeté les conservateurs de la nuance de M. Guizot et les légitimistes dans l'abstention, fait passer partout les candidats les plus zélés et les plus compromis du régime actuel, saufs trois ou quatre noms franchement républicains qui ne serventqui ne serve qu'à continuer l'épouvante et à maintenir tout le troupeau sous la houlette du maître. Le chiffre aux couleurs de Mme la Desse d'Orléans a été partout écrasé et baffoué. Ne confondez pas H. Lasteyrie7 qui a obtenu une minorité assez imposante avec Jules8 dont il n'est que le cousin et qu'il a toujours beaucoup dépassé dans le sens de la gauche.

Je vous demande bien en grâce, chère, chère Madame, de me donner une bonne place dans votre prochaine lettre à Madame votre mère9 et de la remercier mille fois d'avance de tout ce que j'espère lui devoir bientôt encore à Sagan10.

Je viens de passer quelques heures à Fleury prêt de Fontainebleau avec Mme Swetchine. Nous y avons bien vivement parlé d'elle, pour elle-même, pour Marie [Radziwill]11, pour vous et nous nous sommes résumés en ceci, c'est que c'était Madame la duchesse de Sagan en personne qui aurait à indemniser la France de ce qu'elle va donner à la Prusse et que nous le lui mettons d'avance sur la conscience. Du reste la santé de notre amie ne s'est pas améliorée depuis votre départ. Elle renonce encore au Bourg d'Iré pour cette année et ne peut s'éloigner que de quelques heures du docteur Rayer. Madame de Gontaut12 tourne autour de Paris, en meilleur état que je ne l'ai vu depuis longtemps. Henri de Contades13 a été jusqu'à quelques velléités pour la députation, qui n'ont abouti qu'à d'imperceptibles démarches. Je n'ai pas revu l'évêque d'Orléans14 qui a été à Grenoble et en est revenu sans traverser Paris. Je ne puis donc vous donner par lui de nouvelles d'Antoine [de Castellane] et malheureusement pas davantage par moi-même, car je vais en droite ligne à Caradeuc où Marie [de Falloux] et Loyde [de Falloux] me réclament non moins que mon frère15. Marie a longtemps encore souffert de la gorge. Loyde devient de plus en plus dragon. Elle va avoir tout à l'heure ses amis Rességuier qui vont nous aider, j'espère, à la rendre un peu plus grande personne et plus présentable à Madame la Princesse Radziwill que je me permets, en attendant, d'embrasser encore maternellement.

Je ne vous parle pas de vous, chère Madame. Je sais trop ce qui se passe au fond de votre cœur pour y toucher ainsi en courant. C'est cet hiver au Bourg d'Iré que vous nous laisserez acquitter nous devoir d'amis mais, invariables et qui voudraient bien avoir la puissance de devenir un peu consolateurs.

A. de F.

 

 

 

*Archives nationales

1Établissement parisien d'hydrothérapie.

2Marie de Castellane, fille de Pauline de Castellane a épousé le prince Anton Radziwill.

4Falloux venait d'être élu à l'Académie française.

5Hélène de Mecklembourg-Schwerin (1814-1858), elle est alors, comme elle le fut en 1848, hostile à un rapprochement des Orléans avec le comte de Chambord, au grand désespoir de Falloux.

624 février 1848.

7Lasteyrie, Ferdinand Charles Léon de (1810-1879), érudit et homme politique. De tendance orléaniste, il avait été élu député de la Seine (1841-1848) puis réélu de 1848 à 1851.

8Lasteyrie, Jules Adrien de (1810-1883), journaliste, écrivain et homme politique. Fervent orléaniste, il fut élu député de Seine-et-Marne de 1841 à 1848 et sous la Seconde République (1848-1849). Réélu à l'Assemblée nationale en 1871, il deviendra sénateur inamovible.

9Dorothée, princesse de Courlande (1793-1862), comtesse Edmond de Périgord, puis duchesse de Dino (titre sous lequel elle est passée à la postérité), puis duchesse de Talleyrand et duchesse de Sagan. Elle venait de temps à autre séjourner chez sa fille Pauline de Castellane, en son château de Rochecotte, à Saint-Patrice, en Indre-et-Loire.

10Fief et demeure de Sagan, en Pologne.

11Marie Dorothée Élisabeth Radziwill, princesse (1840-1915), née de Castellane, elle est la fille de Pauline de Castellane, la châtelaine de Rochecotte. Le 3 septembre 1857, elle avait épousé à Sagan, en Pologne, Frédéric-Guillaume-Antoie, prince Radziwill (1833-1904), militaire prussien. Femme de lettres, on lui doit la publication des Souvenirs de sa grand-mère, la Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Paris, Plon, 1909-1910, 4 vol.

12Adèle Gontaut-Biron, née de Rohan-Chabot (1793-1869), sœur du cardinal de Rohan. Fervente catholique.

13Henri, Erasme de Contades, marquis (1814-1858). Attaché d'ambassade, il sera élu député du Cantal de 1847 à 1848.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «28 juin 1857», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1857,mis à jour le : 24/08/2015