CECI n'est pas EXECUTE 21 janvier 1876

1876 |

21 janvier 1876

Théobald de Soland à Alfred de Falloux

21 janvier 1876

Cher ami, la réunion vient de finir, M. Lemanceau1 vient me dire la situation. Voici les chiffres : Général d'Andigné2 123 voix; Achille Joubert3 103 voix; Le Guay4, 75; Cumont, 65; Louvet5, 54; Montrieux6, 35. Il y avait prés de 200 personnes présentes, une trentaine de membres de l'extrême-droite, Du Réau7 en tête se sont retirés avant le vote.

Voilà ce que vous dira M. Lemanceau, mais ce qu'il ne vous dira pas, c'est le sacrifice douloureux que avez imposé à mon amitié et que j'ai du subir jusqu'au bout.

Le vieux Tessié de la Motte8, avec une émotion qui se rendait presque éloquent a rappelé votre courage en 1848 quand vous êtes venu exposer votre poitrine aux vengeances des ateliers nationaux9, il a déclaré que quand un grand citoyen avait sauvé son pays dans une crise aussi redoutable, la reconnaissance publique devait l'acclamer. Ces paroles ont eu un vrai succès d'enthousiasme, il était vraiment touchant de voir ce vieux conspirateur de 1830 et décoré de juillet comme il le proclamait lui-même, rendre justice à l'orateur, au politique et à l'homme de courage et de cœur qui n'est pas de son parti, et par un triste retour il était navrant de penser et de constater que les énergumènes de l'extrême-droite étaient les seuls qui restaient implacables dans leur haine et qui repoussaient celui qui devrait être leur honneur. A ce moment j'ai été envahi par un sentiment d'angoisse plus douloureux que je ne peux vous l'exprimer ; je voyais l'assemblée sous le coup d'une émotion très sincère, j'entendais les applaudissements se répéter chaque fois que M. Tessié rappelait les souvenirs patriotiques de votre passé et je me demandais si je ne devais pas vous désobéir et décliner le mandat que vous m'avez imposé. Je n'en ai rien fait et après quelques secondes de réflexion, j'ai pris le parti de refuser en votre nom ce qu'on semblait vous faire accepter. Je l'ai fait résolument pour des raisons, je n'étais pas assez sur de l'unanimité de cet enthousiasme pour exposer un nom comme le vôtre à se trouver en minorité. Demain L'Etoile aurait dit qu'au lieu de poser franchement votre candidature vous la faisiez poser par des orléanistes, et que malgré cette intrigue vous n'aviez pu réussir. J'ai voulu vous épargner cette injure, il y avait dans l'assemblée une trentaine de chevau légers (tous étaient venus) et autant de bonapartistes intransigeants, ceux-là n'auraient pas voté pour vous et il fallait pour forcer vos résolutions une vraie unanimité. Toujours est-il, cher ami, que vous ne m'avez jamais fait un chagrin pareil et que j'ai cru que je ne pourrais pas finir les quelques mots que j'ai du prononcer, j'ai lu la dernière phrase de votre lettre qui a été très applaudi, mais la justice et la reconnaissance que vous invoquiez non pour vous, mais pour Cumont, n'ont pas triomphé, et votre courageux ami n'a pas eu les 10 voix nécessaires pour arriver avant Le Guay.

J'en suis désolé, je crains qu'il soit obligé de retirer sa candidature et de renoncer à la carrière politique qui avait tant d'attraits pour lui. Je ne vous ai pas parlé de la séance des fêtes de bois, j'y suis allé pour défendre la cause des jeunes gens, clercs de notaire ou commis de magasin qui avaient donné leur signature pour le cercle et auquel l'évêque10 voulait payer ses dettes. J'ai demandé énergiquement un acte régulier de résiliation du bail et l'abandon du mobilier en échange du paiement des dettes. L'évêque a fini par céder et a subi ces conditions, mais il veut immédiatement fonder un nouveau cercle, il a réuni une commission de laquelle il a exclu tous les suspects y compris le bureau de l'ancien cercle et Affichard11 lui-même !! Je ne sais si il en trouvera de plus souple : les seuls journaux reçus au nouveau cercle seront : L'Univers, Le Monde, L'Union, L’Étoile, et jusqu'à nouvel ordre L'Union de l'Ouest ; et Dieu cher ami. Je vous embrasse de tout cœur.

Th. de Soland

On me tourmente toujours pour accepter la candidature dans le canton sud-est [d'Angers]12. Je n'hésiterais pas si j'étais en présence d'un seul candidat radical. Mais j'ai là Bourlon de Rouvre13, Mourin14 et peut-être Max[imilien] Richard15, c'est une seconde <deux mots illisibles> compliquée de l'élection Bruas, Berger16. Il n'est guère encourageant à recommencer.

 

 

 

1Jean-Baptiste Lemanceau (1817-1897), régisseur du domaine des Falloux.

2Andigné Henri Marie Léon d', marquis (1821-1895), militaire et homme politique. Pair de France en 1847, général de brigade en 1875, il était entré en politique en se faisant élire en 1876 au Sénat, comme candidat conservateur par le Maine-et-Loire. Il sera constamment réélu dans la chambre haute où il siégera jusqu'à son décès.

3Joubert-Bonnaire, Achille (1814-1883), industriel et maire d'Angers (1871-1874). Élu sénateur du Maine-et-Loire en 1876.

4Le Guay, Albert Léon baron de (1827-1891), homme politique. Riche propriétaire du Maine-et-Loire, il fut nommé préfet de ce département le 28 mars 1871. Secrétaire général du ministère de l'Intérieur du 17 juin 1873 au 21 décembre 1873, il obtint par la suite le titre de conseiller d’État en service extraordinaire. Élu au sénat par le Maine-et-Loire en 1876, il vota avec la droite, soutint le gouvernement du Seize-mai et combattit le ministère Dufaure. Réélu sénateur en 1879 et 1885, il vota constamment avec la droite.

5Charles Louvet (1806-1882), banquier et homme politique. Élu du Maine-et-Loire à l'Assemblée Constituante (1848-1849) et à la Législative (1849-1851), il siégea avec la droite. Rallié à l'Empire, il sera élu du Maine-et-Loire de 1852 à 1869. En 1869, il prendra ses distances avec le régime en rejoignant le nouveau tiers parti libéral.

6Montrieux, Joseph (1806-1883), industriel, maire d'Angers de 1859 à 1870. Elu en 1871, il siega avec la droite.

7Réau, Zacharie Raoul de La Guaigonnière du (1812-1902), conseiller général du Maine-et-Loire. Légitimiste et profondément catholique, ancien zouave pontifical, il sera anobli en 1874 par Pie IX.

8Eugène-Marie Tessié de la Motte (1799-1877), homme politique. Né dans une importante famille angevine des Rosiers dont il sera maire pendant près de 48 ans, devenu officier de la garde royale, il fut révoqué pour opinions libérales. Hostile à Charles X, il avait participé aux trois journées insurrectionnelles de juillet 1830 et acclamé Louis-Philippe.

9A l'assemblée constituante de 1848, la commission dont Falloux était le rapporteur s'était prononcé en faveur de la fermeture des ateliers nationaux provoquant le mécontentement populaire qui aboutira à une véritable insurrection lors des journées de juin 1848.

11Affichard, Émile (1824-1898), avocat au barreau d'Angers.

12Candidat, Théobald de Soland l'emportera au second tour, le 5 mars 1876, contre Mourin, son adversaire républicain.

13Bourlon de Rouvre, Léopold (1820-1905), préfet de Maine-et-Loire de 1857 à 1865, bonapartiste.

14Mourin, Ernest (1822-1900), professeur d'histoire.

15Richard, Maximilien (1818-1891), industriel. Élu en 1871, il siégea avec le centre-gauche.

16Allusion à l'élection partielle de 1874, au cours de laquelle Bruas, le candidat fusionniste soutenu par Falloux, avait été battu au second tour par un républicain, les voix du candidat légitimiste éliminé au premier tour ne s'étant pas reportées sur Bruas.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «21 janvier 1876», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1876,mis à jour le : 14/09/2015