1878 |
11 janvier 1878
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
11 janvier 1878
Chère Madame, nous sommes très mécontents de votre bulletin et très consterné de l'état de Madelle Lecreux1 pour elle-même, pour tous les résultats qui pèsent sur vous, et pour le contrecoup que nous en subissons. Madelle Porthault2 vous est-elle définitivement acquise ? Vous en paraissiez contente pour la lecture ; nous voudrions bien maintenant juger de son écriture, car la vôtre, tout en nous causant une vive reconnaissance, y mêle toujours de l'inquiétude pour votre fatigue.
Tous ces sentiments ont été bien partagés par Albert [de Rességuier] que nous possédons enfin depuis mardi. Son premier aspect nous avait charmé ; mais nous sommes obligé de reconnaître que l'hiver lui joue plusieurs mauvais tours. Il a passé 24 heures dans son lit, après son arrivée, comme un ancien Falloux, et il convient que le chemin de fer ou même la voiture lui réussit très mal. Ne doutez donc point du grand bonheur qu'il aurait eu à passer par Rochecotte, et il n'y a pas de mission dont il ne m'ait chargé près de vous à cet égard, mais il est certain que dans cette saison, nous avons tous intérêt à le ménager, et que, décidé à me conduire très généreusement, en cette occasion, je me suis arrêté sans que l'égoïsme y ait la moindre part. Du reste, des affaires,et je le suppose bien, Berthe surtout, le rappellent très promptement à Paris, et il doit nous quitter dès la semaine prochaine, en promettant un certain et long retour pour ce printemps où nous aurons tous satisfaction. Madame Swetchine disait : « le bon Dieu aime les antithèses. » Il s'en sera rarement accordé une plus éloquente que le spectacle de Victor-Emmanuel3 soudainement apporté dans le catafalque4 préparé pour Pie IX ! Dans ma jeunesse, j'en aurais tiré bien des conclusions, mais ma vieillesse est désormais moins confiante. Quand les Bourbons ont remplacé Napoléon I, qui n'y a pas vu une promesse divine ? Quand Monsieur le comte de Chambord nous a été annoncé, qui n'a pas crié à l'enfant du miracle ? Quand Louis-Philippe5 est monté dans le fiacre de 1848, qui n'a pas cru au retour du roi prédestiné ? Cette fois, je me le tiens pour dit, et je reste en garde contre des illusions qui ne se contenteront pas d'être vaines mais qui deviendront très dangereuses, en redoublant les chimères et les folies.
Néanmoins, chère, chère Madame, croyez-moi toujours votre plus fidèle hérétique.
A.de F.
Bertou se plaint beaucoup de sa gorge. Et les pauvres Chaulnes6 !
1Secrétaire de Pauline de Castellane, elle est alors souffrante.
2Elle remplace Mademoiselle Lecreux.
3Victor-Emmanuel II de Savoie (1820-1878), prince de Piémont, comte de Nice et roi de Sardaigne de 1849 à 1861, il fut le premier roi d'Italie de 17 mars 1861 jusqu'à sa mort.
4Son décés était intervenu brutalement le 9 janvier, alors que Pie IX gravement malade lui survécut près d'un mois (7 février 1878).
5Louis-Philippe Ier (1773-1850), duc d'Orléans, puis roi des Français de 1830 à 1848.
6Paul d'Albert de Luynes, duc de Chaulnes (1852-1881) et son épouse, Marie-Bernardine Blanche Sophie (1852-1882), duchesse, fille du prince Augustin Galitzin.