CECI n'est pas EXECUTE 23 juin 1882

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23 juin 1882

Charles Chesnelong à Alfred de Falloux

Paris, le 23 juin 1882

Monsieur le comte, oui, certainement, j'ai reçu les deux volumes des Discours et mélanges1 que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. Nous sommes emportés ici dans un tel mouvement d'occupation, qui se renouvelle sans cesse, qu'il me reste hélas ! bien peu de temps pour des lectures recueillies. C'est ainsi que je n'ai pu lire encore que le premier volume, et trop rapidement pour la satisfaction et le profit que je désire en retirer.

Je profiterai de mes prochaines vacances pour revenir avec ravissement sur ce premier volume et lire le second avec toute l'attention que méritent les sujets qui sont traités et le respect que commande votre caractère, votre talent et votre haute supériorité alors même que sur certaines nuances on peut un peu différer d'impression.

Mais je reviens à ce premier volume qui m'a reporté à l'âge héroïque des luttes pour la liberté de l'Église dans notre temps. Toutes vos belles harangues, qui étaient aussi de grands actes n'étaient pas pour moi des étrangères. J'étais alors, confiné dans mon humble vie, ne songeant pas, même en rêve, à entrer plus tard dans la vie publique, j'étais néanmoins passionné pour ces questions ; j'en suivais les phases avec émotion, et j'étais votre admirateur inconnu bien avant qu'il m'ait été donné de connaître l'homme et de savoir à la fois tout ce que par l'autorité de sa personne il ajoutait de force à son magnifique talent et aussi tout ce qu'il mêle de bonté simple et aimable à une distinction qui n'est que l'expression d'une rare supériorité. J'avais donc gardé le souvenir bien vivant de ces temps et du rôle si considérable que vous y aviez joué. Mais avec quel bonheur j'ai relu tous vos discours de cette époque ! Quelle hauteur de vue ! Quelle sûreté de jugement ! Quelle allure haute, ferme, vive, toujours éloquente dans ces œuvres qui révèlent l'homme d'État, le grand chrétien, le grand orateur ! Votre réponse à M. Jules Favre2 sur la question romaine est un chef-d'œuvre d'argumentation élevée, de verve incisive, d'éloquence dominatrice ! Et dans un autre genre, votre discours sur la révision est un modèle d'exposition calme, sobre, tempérée, où chaque mot à la valeur et où j'admire un rare mélange de raisons et de grâce, d'élévation et de force, de hardiesse et de mesure. Je ne parle que de ces deux discours, mais chacun des autres à son grand prix.

L'expédition de Rome et la loi de 1850 sur la liberté de l'enseignement, ce sont là deux immenses services dont l'honneur principal vous revient, Monsieur le comte.

En ce moment où le pape se trouve à Rome dans une situation douloureuse et impossible, où la loi de 1850 est détruite pièce à pièce pour faire sortir de notre société la liberté chrétienne, l'abîme creusé par la destruction de vos deux grandes œuvres vient en rehausser encore le mérite et en montrer la grandeur.

J'étais allé vous porter à l'hôtel des ministres, après avoir reçu les deux volumes, un hommage et mes remerciements ; vous veniez de partir et je me promettais de renouveler ma visite à votre voyage nouveau comme dit très prochain. En ayant l'honneur de vous adresser une dernière carte, je ne voulais pas <mot illisible> pour votre grand deuil, rien mêler à l'expression de mes respectueuses condoléances.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, mes bien respectueux et dévoués hommages.

Ch. Chesnelong

1Falloux venait de publier Discours et mélanges politiques, Paris, Plon, 1882.

2Allusion aux vives altercations entre Falloux, alors ministre de l'Instruction publique et des cultes et Favre, député de la gauche lors du débat en août 1849 sur la présence de l'armée française à Rome, Favre avait alors protesté contre ce qu'il considérait être une atteinte à l'intégrité et à l'indépendance italienne. Favre, Jules (1809-1880), avocat et homme politique. Il devint vite l’un des chefs les plus célèbres du Barreau de Paris, principalement dans les affaires politique. Ardent républicain, il fut secrétaire général au ministère de l’Intérieur, en 1848, sous Ledru-Rollin. Élu lors des élections partielles de 1858, il devint l’un des chefs de l’opposition républicaine au Corps Législatif. Avec quatre autres républicains (Ollivier, Darimon, Hénon, Picard), il forma, à partir de la session de 1859, le groupe dit des Cinq, opposition majeure à l’empire autoritaire jusqu’en 1863. Il fut réélu en 1863. Après la chute de l’Empire, il se vit confier le poste de ministre des Affaires étrangères ; il se chargea d’organiser la résistance aux Prussiens et négocia un traité de paix.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 juin 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 15/03/2016