CECI n'est pas EXECUTE 9 septembre 1850

Année 1850 |

9 septembre 1850

Armand Fresneau à Alfred de Falloux

Bourg des Comptes1, lundi 9 [septembre 1850]

Cher ami,

Je n'ai pas besoin des incidents qui se produisent de plus en plus rares dans le monde politique pour penser à vous. Il m'est cependant impossible de rester indifférent à ce qui se passe, malgré mon immobilité et mon silence ; et plus impossible encore de ne pas vous mêler dans ma pensée à tout ce système ou vous en éloigne-t-elle ? Un fait domine, bien regrettable, la division. Mais à moin que je vois et observe. Voilà les élections locales2 presque terminées. Vous confirme-t-elle dans votres de renoncer à toute direction on devait la rencontrer, et eût-on laissé aller les esprits et les choses, on l'eût encore rencontrer. Une fois la nécessité de ce mal admise, il me semble que l'échec du gouvernement est de nature à fortifier dans leurs idées plutôt ceux qui font le vide, que ceux qui voudraient le combler. La tactique qui vient d'être généralement adoptée et qui à mon sens a réussi est précisément celle que M. le comte de Chambord a conseillé. Or après l'action en commun, que j'ai si vivement désirée quand elle était possible, ce que je vois de plus désirable c'est la résistance en commun, la force d'inertie exercée en commun ou tout simplement le silence en commun si l'on ne peut pas faire en commun autre chose je n'ai qu'un regret c'est qu'une plus générale et plus complète abstention n'ait pas montré à qui de droit qu'en France on finit par comprendre une plaisanterie et par s'en fatiguer pour peu qu'elle dure et que les momeries du suffrage universel, de l'appel au peuple etc. s'usent comme toutes les autres inventions du charlatanisme politique. Dans notre département les deux systèmes ont trouvé des partisans. Le Journal de Rennes a soutenu le contraire des instructions3 de Frohsdorf quoique avec une certaine timidité. L'indifférence qui est dans l'air a secondé heureusement (selon moi) les calculs de ceux qui croient bon de s'en servir et l'inertie a dominé. Ce n'est pas la réveil, il s'en faut. On peut vivre longtemps et on vivra sans doute avec la force, l'administration et l'armée. La seule conclusion que je tire de ceci, c'est qu'on préfère le sabre nu et l'administration sans gants à une affectation hypocrite de respect pour la souveraineté populaire. Je retrouve là sinon un peu de l'esprit, nous n'en sommes pas là, du moins quelques traces du bon goût dont se piquent les Français du ridicule. Sentir qu'on se moque de vous c'est encore sentir quelque chose. Si j'en crois le Journal conservateur de Rennes4. Plus plat que jamais notre évêque5 a été au moins aimable avec le roi Jérôme à Saint-Malo. Le clergé se livre. L'encensoir devant le parvis de la Madeleine au retour de Strasbourg6 ne vous a-t-il pas fait mal comme à moi ? Si ce n'étaient que des individus ! Mais le corps entier fléchi. L'épreuve était trop rude. Gardez pour vous ce que je vous dis de l'évêque. Les journaux vous ont déjà dit sans doute ce que j'aime mieux que vous ayez appris par eux que par moi. Si vous voyez la vie que je mène ici, vous seriez content. Je ne perds pas, j'espère mon temps, quoique je ne m'occupe guère que d'histoires. De la politique actuelle pas un mot. C'est bien là attendre dans la force du terme. Si vous passiez l'hiver à Paris, si je pouvais vous y avoir, ou mieux encore si je vous avais à Rome, ma patience cesserait complètement d'être une vertu. L'été angevin <mot illisible>-t-il Nice pour Loyde et pour Mme de Falloux7? Avez-vous eu votre aide de camp Albert de [Rességuier] ? Adieu, je vous quitte car je parle comme les journaux. Non sans vous avoir embrassé du fond du cœur.

1Bourg-des-Comptes, commune de l'Ille-et-Vilaine.

2Sans doute s'agit-il des sessions des conseils généraux.

3Le 20 septembre 1850, une circulaire du comte de Chambord recommandaient à ses fidèles de ne participer à aucun scrutin, au grand désespoir de Falloux et de Berryer hostile à ce mot d'ordre d'abstention qui ne pouvaient à leurs yeux qu'être préjudiciable à une restauration monarchique.

4?

5Brossais Saint-Marc Godefroy (1803-1878), prélat. Ordonné prêtre pour le diocèse de Rennes en 1831, il fut nommé évêque de cette ville par Louis-Philippe en 1841. Ardent orléaniste, il contribua néanmoins à l'attachement de ses diocésains à l'Empire ce qui lui valut de devenir le premier archevêque de Rennes. Il fut élevé au cardinalat par Pie IX lors du consistoire du 17 septembre 1875.

6Au cours de l'été 1850, Louis-Napoléon Bonaparte entreprit un voyage visitant plusieurs villes de provinces, le 22 août, il avait séjourné à Strasbourg.

7Marie de Falloux, son épouse et Loyde leur fille, séjournent alors à Nice.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 septembre 1850», correspondance-falloux [En ligne], Seconde République, Années 1848-1851, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1850,mis à jour le : 06/04/2016