CECI n'est pas EXECUTE 26 août 1850

Année 1850 |

26 août 1850

Armand Fresneau à Alfred de Falloux

Les Nouettes1, près L'Aigle, lundi 26 [août 1850]

Vous arrivez aujourd'hui à Paris, cher Alfred, je n'y suis plus ! Il y a trois jours que j'en suis parti pour venir consoler, rassurer un peu mon Henriette2 que les étranges sermons de Gaston3 avaient troublée. Tout va bien maintenant, sauf qu'elle est fatiguée et même un peu souffrante de tant d'émotions accumulées en quelques jours. J'ai tout conté en détail à Madame Swetchine en la priant de vous mettre au courant. Je vais vous dire moi-même ce qui m'a fait passer une des cruelles semaines que j'ai traversées. Mais avant tout je me hâte de vous dire que je suis au comble de mes vœux. Henriette m'aime tendrement, profondément et je l'aime de même. Elle est malheureuse sans moi, ce qui se comprend après tant d'agitations que je lui ai causées et dont elle se remet à peine. L'idée d'un départ, d'une absence l'afflige. Elle en a fini avec toutes les incertitudes et les inquiétudes. Mais elle encore besoin de me voir, de m'avoir prés d'elle et ne pense qu'avec tristesse à la séparation forcée qui devait commencer à la fin de cette semaine et qui n'aura lieu vraisemblablement que dans le courant de la prochaine. Ceci dit, cher ami, voici ce qui a nécessité mon voyage de deux jours à Paris, mon retour ici et déranger les projets qui m'a mené sur votre passage aujourd'hui même dans un moment où j'ai tant besoin de vous voir ! Je vous ai dit l'extrême piété d'Henriette. Gaston, en jeune prêtre, avait bâti sur ce fondement tout un édifice de vie mystique qu'il réservait à ses sœurs. Il voulait faire de ses deux charmantes enfants deux vieilles filles en d'autres termes deux vierge de J-C. Vouées au célibat chrétien dans leur famille et plus tard auprès de lui. Passe de construire ce petit couvent en rêve. Mais il a été plus loin. Quand il a su qu'il s'agissait de marier Henriette, il a perdu la tête à la lettre. J'étais arrivé ici le lundi matin. Le mercredi matin Henriette avait renoncé à son projet de ne point se marier et ma vais accepter pour époux avec une tendresse charmante. Jeudi arrivent deux lettres de Gaston, vendredi deux autres, puis dimanche, puis lundi. Vous ne vous faites pas idée de l'exaltation religieuse de ces lettres ou tout en disant à sa sœur que je suis pour elle le meilleur des maris il la supplie de faire un effort pour s'élever à la vocation supérieure de la vieille fille, en d'autres termes du célibat chrétien. Henriette s'inquiète, s'alarme. Malaret4 à Toulouse avait essayé de produire sur son esprit en ce qui me concerne l'impression qu'il avait si complètement produite sur celui d'Olga5. Cette malveillance avait glissé sur l'âme de ma chère fiancée. Mais la question religieuse réveille en elle le souvenir de Toulouse. Tout se réunit pour l'alarmer jusqu'aux reproches de M. de Ségur, qui croyant sa fille complètement décidée blâme la prolongation de mon séjour aux Noisettes et s'imagine qu'on veut lui forcer la main, et l'obliger à abréger les délais qu'il a prescrits. Je suis alors parti pour Paris. J'ai vu Monsieur de Ségur6, tout expliqué, obtenu la permission de revenir, la promesse que toute chose y compris les délais serait subordonnée à ce que conseilleraient le repos et le bonheur d'Henriette. Rien n'a manqué à notre entrevue, il émotions ni les larmes. Enfin, je suis revenu ici après 48 heures d'absence. Gaston vient d'écrire une lettre charmante par laquelle il abandonne toute résistance. Monsieur de Ségur m'a remis pour tous ses frères pouvoir de père, m'engageant à différer le mariage, mais me promettant de faire tout ce que jugerait meilleur pour Henriette et pour moi. Nathalie7 a écrit de Toulouse la lettre la plus aimable pour son futur beau-frère. L'horizon s'est donc subitement et complètement éclairci. Maintenant cher ami, voici ce que je désire faire. Si vous avez des nouvelles de Nice qui vous rassurent un peu, ou du moins me fassent penser que je vous reverrai dans deux mois moins inquiet et plus calme, je vais rester avec Henriette un peu souffrante ; elle est charmante pour vous ; nous parlons de vous sans cesse ; vous aurez en elle une véritable sœur. Mais je n'en sens pas moins que l'idée de me voir partir même pour deux jours la désole. D'un autre côté je serais profondément affligé de ne pas être allé vous embrasser à Paris si vous avez des nouvelles trop alarmantes et qui vous donnent de grandes inquiétudes, l'appréhension de prochaines et redoutables crises. Un mot de vous, cher Alfred, je vous en prie. Vous voyez entre quels sentiments est partagé mon cœur. Vous comprenez ce que je veux faire. Vous me feriez une peine réelle si vous me dissimuliez une partie de la vérité. J'accepte le sacrifice que vous faites à Henriette dans votre dernière lettre que j'ai reçue à Paris, si cette vérité n'est pas trop redoutable écrivez-moi, mon ami. Vous êtes sans cesse présent à mon cœur. J'ai besoin d'un mot de vous. Je vous embrasse de toute mon âme.

 

1Château situé à Aube dans l'Orne appartenant à la famille de Ségur.

2Henriette de Ségur (1829-1908) que Fresneau épousera le 8 décembre 1850.

3Mgr Gaston de Ségur (1820-1881), fils de la comtesse de Ségur, auditeur de Rote à Rome de 1852 à 1856, il était revenu à Paris pour cause de cécité. Plus modéré que Jules Morel et Louis Veuillot dont il est un des proches, l'évêque demeurait néanmoins un prélat ultramontain et antilibéral.

4Joseph Alphonse Paul Martin d'Ayguevives, baron de Malaret (1820-1886), époux de Nathalie de Ségur, sœur d'Henriette.

5Olga de Ségur (1835-1909), fille cadette d'Eugène et de Sophie de Ségur qu'A. de Fresneau espérait pouvoir épouser.

6Ségur, Eugène Henri Raymond, comte de, Pair de France (1798-1863), officier, père d'Henriette.

7Nathalie de Malaret, née de Ségur (1827-1910), épouse depuis 1846 de Joseph Alphonse Paul Martin d'Ayguevives, baron de Malaret (1820-1886). Elle venait de donner naissance, le 25 novembre 1849 à Madeleine.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 août 1850», correspondance-falloux [En ligne], Seconde République, Années 1848-1851, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1850,mis à jour le : 06/04/2016