CECI n'est pas EXECUTE 31 décembre 1871

1871 |

31 décembre 1871

Jules de Bertou à Alfred de Falloux

Rochecotte, 31 décembre 1871

Chers ami, le télégramme de M. Riobé1 est arrivé hier et votre lettre ce matin. Soyez remerciés de l'un et de l'autre. Hélas ! Nous avons eu un moment l'espoir d'un meilleur résultat mais il y a longtemps que nous avons perdu l'habitude du succès. Quant à vous, cher ami, vous avez du moins la consolation de ne vous être pas épargné à la peine et c'est ce qu'il y a de mieux après le succès quand on est réduit à s'en passer. Si vous êtes passés par la rue de Grenelle2 vous aurez appris à quel point les enfants Boni3 et Jean4 ont été souffrants. Leur grand-mère5 serait déjà près d'eux dans la pensée que la faculté ordonnera peut-être un changement d'air pour hâter la convalescence quand ils seront transportables et qu'alors il faut attendre ce qu'elle décidera et ne pas démonter sa maison ici au moment où elle pourrait avoir au contraire à recevoir ce cher petit monde. Thiers a fait un coup d'État en faisant ajourner l'élection jusqu'au jour où il comptait sur un congé qui lui permit de se rendre au scrutin... et là il aura surveillé son monde et mis bon ordre à ce que les consciences ne l'emportassent pas sur les intérêts. L'Union qui avait inséré à ma grande surprise votre communication, s'en est bien repenti et a donné ce matin une note on ne saurait plus maussade pour l'académie!! Elle a tenu à constater qu'en couronnant pendant deux années de suite l'Histoire de France de M. Martin6 elle avait préparé l'élection de M. Littré7 !!!

Votre séjour à Versailles aura, j'espère, un effet utile sur les résolutions à prendre quant à la loi d'enseignement car de cette loi dépend en grande partie l'avenir de notre pauvre chère patrie. Avec une bonne éducation peut-être pourra-t-on espérer encore quelque chose de l'avenir, mais sans elle il y a plus que la politique du miracle permanent!! Chers amis, c'est plus que jamais le cas de nous souhaiter le Paradis à la fin de nos jours et Dieu sait si je le lui demande pour vous et pour moi, mais je ne supprime aucun des vœux précédant ordinairement celui-là et je les fais tous pour vous avec une fidélité que les ans fortifient bien loin de l'affaiblir. Soyez mon tendre interprète près d'Albert [de Rességuier], de sa fille Mad. de B. D'Azy8 si elle est là et ne m’oubliez pas près de M. Riobé. Là-dessus je vous embrasse a plein cœur,

Jules

1Secrétaire de Falloux.

2Domicile parisien des Castellane. Falloux était alors de passage à Paris, voir sa lettre à Bertou du 27 décembre 1871.

3Castellane, Boniface de (1867-1932), dit « Boni », petit-fils de Pauline de Castellane.

4Jean de Castellane (1868-1948), petit-fils de Pauline de Castellane.

6Martin, Henri (1810-1883), historien libéral., il était rédacteur au Siècle, quotidien anticlérical. Après des débuts en littérature, H. Martin s'était consacré à l'histoire. Son Histoire de France en 15 volumes (1833-1836) lui valut le grand prix Gobert à l'Académie des Inscriptions en 1844. Professeur d'histoire à la Sorbonne en 1848, il fut élu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1871.

7Émile Maximilien Paul Littré (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amené Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.

8Berthe Benoist d'Azy (1850-1899), fille cadette d'A. de Rességuier.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «31 décembre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 05/10/2016