CECI n'est pas EXECUTE 6 mai 1871

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6 mai 1871

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Bourg d'Iré, le 6 mai 1871

Cher ami,

Madame de Caradeuc1 va de mieux en mieux et me permet de vous répondre avec quelque liberté d'esprit sur l'amende infligée aux abstentionnistes. La mesure est bien aisée à justifier en droit mais je la crois impraticable en fait. Ou l'amende serait mineure et alors on s'en rirait où elle serait considérable et alors on s'en irriterait. On irait voter avec beaucoup de mauvaise humeur et l'on donnerait cette couleur à son vote. Ensuite, il faudrait bien admettre et par conséquent connaître les excuses légitimes. Il y a, en moyenne, trois millions d'abstenants et lorsqu'il y a deux ou trois élections dans une année, cela fait neuf millions d'individus qu'il faudrait interroger et entendre sur tous les détails de leur santé ou de leurs affaires. Où trouver des juges assez nombreux et assez patients et à supposer que vous les trouviez quelle base donnée à leur appréciation ? Je vous prends pour type, vous n'avez pas été voter à Saint-Quentin parce qu'Antoine [de Castellane] était à Versailles2 et que vous ne pouviez pas quitter Rochecotte, mais comment tournerez-vous votre discours devant un tribunal quelconque pour établir les liens qui vous attachent à Madame de Castellane et les devoirs qui en résultent supérieurs à vos devoirs civiques ? Aimeriez-vous mieux payer cinq cents francs qui est l'amende du jury? Mais le jury ne se compose que d'un nombre d'individus très limité, le tribunal est tout à côté et cela ne peut selon moi servir de point de comparaison pour une situation qu'embrasserait un tiers au moins de la population tout entière, à la fois, et d'un bout du territoire à l'autre.

Quant au prince Frédéric Charles3, vous ne répondez que vous aimeriez mieux être chinois mais vous ne me dites pas si vous aimeriez moins être Napoléonisé et ce sont là les deux termes de la question. Pourvu que cela dure, la Chine interviendra peut-être aussi dans le règlement de notre <mot illisible> mais il n'en est pas question pour le moment. En attendant, la question prussienne et la question napoléonienne se posent de jour en jour davantage ; plus vous m'y avez trouvé incrédule, comme j'aurais été incrédule aux fautes sans nombre de M. Thiers si on me les avait prédites, prospère, vous pouvez vous en souvenir, je n'ai jamais été pleinement satisfait de lui à Tours, autant aujourd'hui vous me voyez effrayé et inquiet. Mais, d'abord, avez-vous lu le Moniteur et avez-vous présentes les conditions qui, selon lui, accompagneraient le prince prussien, c'est-à-dire, la restitution de la Lorraine et de l'Alsace à la France et les milliards réduits des deux tiers. C'est ce qui me rend la combinaison invraisemblable, mais c'est ce qui la rend discutable si elle devait être sérieuse.

Mille tendresses.

Alfred

1Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.

2Voir lettre de Falloux à Bertou du 3 mai 1871.

3Frédéric-Charles de Prusse dit le Prince Rouge (1828-1885).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 mai 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 13/11/2016