1880 |
I4 août 1880
Edouard de Fitz-James à Alfred de Falloux
St Benezet1, ce 14 août 1880
Mon cher Falloux,
Je vous remercie de votre bonne lettre. J'ai réussi, mais non sans peine...La pression de l'administration a dépassé toute idée. Le légendaire Dumarest2 notre préfet m'a voué une haine personnelle et il a fallu l'énergie de la population méridionale pour que je réussisse. Je souhaiterais cette énergie à nos bonshommes de l'Ouest. Je suis comme vous attristé des élections3 et en particulier de l'échec d'Henri de Juigné4 et de René de Talhouët5. La France passe aux mains des ultras, c'est à dire des jouisseurs et des illuminés. C'est un symptôme morbide ! Nous n'allons rien faire de bon au conseil général. Nous sommes dans une minorité lamentable 12 contre 28 ! et nous n'avons plus Baragnon6! Qui en imposait à la gauche par sa verve et son intelligence. Je vous envoie encore un journal. C'est l'épilogue de mon élection. Vous avez pu juger par mes envois que j'ai beaucoup parlé et beaucoup écrit...dans ce pays ci il faut cela. Le procureur de Nîmes n'a encore rien répondu à ma plainte où j'ai articulé 13 griefs. Il a fait faire une enquête par le juge de paix de St Gilles autre coquin comme lui. Ceux qui ont été interrogés ont répondu carrément en faveur de mes assertions. Je m'étais prudemment assuré d'avance de leurs dispositions. Si le procureur ne me répond pas, voilà dix jours qu'il a ma plainte, j'attaquerai cette semaine en police correctionnelle ceux qui ont menacé. Je ferai un petit scandale qui n'amusera pas Dumarest et consort.
Je serai très certainement à Segré le jour du comice. Je vais me préparer à y témoigner de mon affection pour vous, de mon amour du pays et de ma réprobation pour ceux qui nous gouvernent ! J'ai reçu une carte de félicitations de Noyant7. Voulez-vous en faire d'avance mes remerciements. J'ai reçu une lettre excellente de la sœur de l'Hospice Falloux (dit Swetchine)8 avec de l'onguent. Elle a su que j'avais un terrible clou dans le bras , maintenant passé, et cette bonne sœur m'envoie son remède, remerciez la pour moi, à l'occasion, j'en ai été fort touché. J'espère que mes enfants vont souvent vous voir et ils font bien. Ils ne sauraient vous témoigner trop d'affection considérant celle que je vous porte. Je remercie Monsieur Lemanceau9 et je vous prie de parler à Mademoiselle Loyde et à Madame de Caradeuc de ma très respectueuse et très vive affection.
Duc de Fitz-James
1Le château de Saint-Benezet, à Saint-Benezet (Gard) est la propriété de la duchesse de Fitz-James.
2Dumarest, Paul Benoît (1833-1882), avocat et homme politique. Journaliste de conviction républicaine, il sera nommé préfet du Gard au début de la République sous le gouvernement de Thiers. Révoqué par A. de Broglie au moment de l'Ordre Moral, il sera réintégré à son poste en 1876. Il était honni des légitimistes pour son anticléricalisme déclaré.
3Elections cantonales des Ier et 8 août 1880.
4Juigné, Henri Leclerc de (1845-1893).
5Talhouët-Roy, René François Honoré de (1855-1948), propriétaire du château du Lude (Sarthe) et maire de cette ville.
6Baragnon Pierre Joseph Louis Numa (1835-1892), avocat et homme politique français. Légitimiste, il avait été élu député du Gard en 1871. Il entrera dans le deuxième gouvernement Albert de Broglie comme sous-secrétaire d'État à la vice-présidence du conseil et à l'Intérieur et fut nommé sous-secrétaire d'État à la Justice dans le gouvernement Ernest Courtot de Cissey. Député sortant de la 2ème circonscription du Gard, il avait été battu par le républicain Mallet. Sa réélection en octobre 1877, ayant été invalidée par la Chambre, il dut céder son siège à Mallet. Il sera élu sénateur inamovible le 15 novembre 1878.
7Sans doute celles d'Henri Roullet de La Bouillerie (1821-1898), propriétaire et conseiller général du canton de Noyant
8Hospice créé en 1864 à Segré par Falloux grâce aux fonds obtenus avec la vente des divers ouvrages qu'il lui consacra.
9Régisseur du domaine du Bourg d'Iré.
