CECI n'est pas EXECUTE 29 avril 1879

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29 avril 1879

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

29 avril 1879*

Chère Madame

Votre lettre revenue d'Angers me fait craindre que Bertou n'ait un peu embrouillé son récit et je vais vous le recommencer très fidèlement. Avant tout je me suis rendu à la cathédrale1 ; j'ai entendu les vêpres près du tombeau, j'ai donné à tout le clergé le temps de rentrer chez lui, puis j'ai été à l'évêché.

L'évêque2 était sorti et je lui ai laissé, avec ma carte, l'expression de mon regret ; l'abbé Lagrange3 n'était pas rentré ni son domestique non plus. J'ai été alors chez l'abbé Branchereau4 dont le domestique, auprès duquel j'ai insisté, m'a dit qu'il était malade, dans son lit, et ne pouvait recevoir absolument personne. Je suis rentré à l'hôtel du Loiret par un temps affreux et un bon commencement de névralgie que j'ai couché mais en avertissant que si l'abbé Lagrange venait on le laissa monter. Rien n'est venu. Le lendemain matin, ma souffrance était encore plus aigue, cependant, dés 8 h., je lui ai envoyé une seconde carte et l'annonce de mon départ, bon gré mal gré, à 11h 1/2. Le domestique de l'hôtel m'a donné réponse que i'abbé disait sa messe, mais qu'on lui remettrait ma carte aussitôt après, c'est-à-dire avant neuf h. Je suis resté dans mon lit jusqu'au moment de partir pour la gare et je suis parti sans avoir rien dire sur le lendemain j'ai reçu danger une lettre de l'abbé Lagrange me disant que mes deux cartes ne lui avaient été remises qu'à midi. Que pouvais-je faire, sinon me dire humblement que mes cartes n'ont point de chance dans les évêchés. Je passe maintenant à Mademoiselle du Boÿs.

On a refusé le droit de véto à Louis XVI ; on l'a refusé au maréchal de Mac-Mahon ; je ne vois pas de raison pour l'accorder à l'abbé Lagrange, qui est jaloux comme un tigre et n'en fait nul mystère. Mlle du Boys5 sortira point de ses griffes si elle y tombe et je n'ai pour moi qu'un conseil à lui donner c'est de se tenir respectueusement à distance et d'envoyer tout de suite son manuscrit soit à vous soit à moi pour le Correspondant. C'est une pure supposition qui nous a fait penser qu'il s'agit de l'abbé Pouan6 dans la lettre que vous avez lue ; mais cela peut aussi concerner un autre, jusqu'ici, rien ne révèle. Quant à l'abbé Pouan, il viendra une fois par semaine de Tours à Angers pour faire un cours à l'Université et entretenir les traditions qu'il y a introduites ; tout le monde trouve cela charmant.

L'abbé Couvreux voudrait-il bien écrire à l'abbé Bernard7 que je lui ai envoyé d'ici ma Contre-révolution8 qu'il désirait ; que M Lavedan désire beaucoup l'avoir pour critique d'Émile Ollivier9, mais qu'il avait déjà offert cette mission à un autre et qu'il ne sait pas encore s'il pourra se dégager. En attendant, Émile Ollivier le soir ; combien le livre d'Antoine traitant les mêmes questions lui est supérieur !

Quand votre libéralisme, chère Madame, et celui de l'abbé Couvreux auront suffisamment savouré la brochure de M. Amédée Pontalis10, voudriez-vous bien me la prêter par la poste ? Je vous la renverrais consciencieusement. Je serais curieux de voir s'il réussit toujours dans le tour de force de dire absolument faux sans mentir absolument. Madame de Caradeuc et Loyde vont passablement et se permettent de vous embrasser avec une grande tendresse.

A. de F.

PS. Je vous renvoie Melle du Boys.

 

 

*Archives nationales.

1Falloux est alors à Orléans.

2Pierre-Hector Coullié (1829-1912), successeur de Mgr Dupanloup à l'évêché d'Orléans.

3François Lagrange (1827-1895), secrétaire de Mgr Dupanloup; vicaire général d'Orléans en 1860, chanoine titulaire de Paris en 1880, évêque de Chartres en 1889. Il venait de publier une importante biographie de Mgr Dupanloup, Vie de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, 3 vol., Paris, 1883-1884.

4Branchereau, Louis (1819-1913), ecclésiastique demeurant alors à Orléans où il est supérieur du grand séminaire. Né à Saint-Pierre Montlimart (Maine-et-Loire), il était entré au grand séminaire d'Angers pour la théologie, après des études au collège de Combrée Il compléta ses études théologiques par deux années à Saint-Sulpice à Paris. Ordonné prêtre en 1843, il partit enseigner la philosophie au séminaire de Clermont, puis à Issy (1850-1853), puis à Nantes où li deviendra supérieur du séminaire avant de se voir confier celui d'Orléans. Dans chacun de ces deux diocèse, il jouissait d'une grande influence. Très proche et très apprécié de Mgr Dupanloup, il publiera le Journal intime de l'évêque (Paris, Douniol, 1912).

5Sans doute la fille d'Albert du Boys, (1804-1889), magistrat et historien. Nommé conseiller auditeur à la Cour en juin 1825, il avait démissionné au lendemain de la révolution de Juillet après avoir refusé de prêter serment à Louis-Philippe. Collaborateur du Correspondant, il se consacra dés lors à d'importants travaux historiques, à des études de législation criminelle et de philosophie du droit. Il s'était retiré dans son château de La Combe de Lancey, en Isère où son ami Mgr Dupanloup venait régulièrement lui rendre visite.

6Le chanoine Bonaventure-Théodore Pouan (1839-1910), docteur en droit canon de l’Université de Louvain, en Belgique, enseignait à l’Université catholique d’Angers depuis sa création en 1875.

7Bernard Eugène (1833-1893).

8Après le discours prononcé par A. de Mun à Chartres, le 8 septembre 1878 dans lequel celui-ci proclamait que le terrain sur lequel les catholiques devaient se réunir était celui de la « Contre-révolution », Falloux avait écrit une brochure critiquant vivement ce discours.

9Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870 .Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.

10A. Lefèvre-Pontalis avait publié L’Assemblée nationale et M. Thiers dans le Correspondant du 10 février 1879.

Lefèvre-Pontalis Germain Antonin (1830-1903), homme politique. Auditeur au Conseil d’État (1852), il collabora à la Revue des Deux Mondes et au Journal des Débats. Élu au Corps législatif en 1869, il prit place dans le tiers-parti. Élu de seine-et-Oise à l'Assemblée nationale de 1871, il se fit inscrire à la réunion Feray. Après avoir soutenu Thiers, il se rapprocha de la droite et so+utint Broglie et le septennat. Après plusieurs échecs, il parvint à se faire réélire en 1885 (Nord).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «29 avril 1879», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1879,mis à jour le : 05/01/2023