CECI n'est pas EXECUTE 19 février 1873

1873 |

19 février 1873

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Angers, le 19 février 1873,

Cher ami,

Ma lettre à Mme de Castellane vous aura prouvé que vous ne vous trompiez pas sur votre mauvaise opinion de ma tête, et vous pouvez y joindre mon larynx, qui se reprend de plus en plus depuis qu’il est séparé d’une nourrice. Quant à mon ambassade conjugale, elle me paraît, grâce à Dieu, avoir bien réussi, et j’espère pouvoir bientôt vous l’annoncer officiellement, soyez sûr que vous serez des premiers informés.

J’ai recherché L’Assemblée nationale, qui m’avait échappé et j’ai tretrouvé la robe de Nessus avec beaucoup de reconnaissance pour Paris et pour Rochecotte. Néanmoins, j’aurais une petite reprise à faire, si le vêtement devait reparaître en public : c’est le premier rang, et non la première place, qui est la forme voulue ; la première place a un sens beaucoup plus équivoque, et un son beaucoup moins net. Comme les tailleurs sont difficiles !

Le général Trochu1 ne l’est pas tant, et quand vous aurez une occasion de lui répéter combien j’ai été ému de le revoir et combien je serais heureux que le Bourg d’Iré le possédât à son tour, vous me ferez grand plaisir.

Nous ne pouvons trouver les cinq compagnons de Mme de Juigné2 qu’en mettant Jacques à l’arrière-garde ce qui nous représente une joie absolue complète et avec une complète sécurité, par ce beau soleil que nous bénissons doublement.

Il me semble que ce matin L’Assemblée nationale est en train de se piquer avec L’Union. Je suppose que cela trahit une dissidence sur la réunion, La Rochefoucauld3, du moment où MM. de Broglie et d’Audiffret4 y ont pris part, il a dû s’échanger des observations indépendantes de la cession absolue, et le duc de la Rochefoucauld étant l’un des fondateurs de L’Assemblée, se sera donné raison à lui-même. C’est probablement le point de départ d’une demi-révolte contre les jougs trop étroits, et le réveil d’un certain côté de la conscience, qui se refuse timidement à immoler son pays par ordre ; si ce mouvement se développe et qu’il ne reste aux chevau-légers que ceux qui pensent consciencieusement que la politique de M. le Cte de Chambord sauve la France, le nombre en sera bientôt réduit à un chiffre peu inquiétant. Que dit Mme de Juigné sur ce chapitre ? Ne s’en retournera-t-elle pas par Juigné5, ne fût-ce que pour me donner la consolation de quelques instants à la gare ?

Alfred

1Trochu, Louis Jules (1815-1896), général français. Aide de camp de Bugeaud, puis du prince Louis-Napoléon, il vota néanmoins contre l'Empire, mais n'en fut pas moins nommé colonel, puis général (1854). Nommé gouverneur de Paris pendant la guerre franco-allemande de 1870, il devient, suite à la proclamation de la République, président du Gouvernement de la défense nationale, le 4 septembre 1870. Soupçonné d'incapacité, on exige sa destitution le 19 janvier; il démissionnera trois jours plus tard après une fracassante déclaration au cours de laquelle, il suggère la capitulation.

2Charlotte Le Clerc de Juigné née de Percin de Montgaillard de La Valette (1825-1897), mère de Madeleine de Castellane, née Le Clerc de Juigné, épouse d’Antoine de Castellane.

3La Rochefoucauld, Marie-Charles-Gabriel-Sosthène, duc de Bisaccia, puis duc de Doudeauville (1825-1908), homme politique. Élu à l'Assemblée nationale en 1871, il sera réélu de 1876 à 1889. Légitimiste, il contribua au renversement de Thiers, puis après avoir tenté, en vain, de convaincre le comte de Chambord de s'engager dans la « fusion », il déposa le 15 juin 1874 une proposition en faveur d'une restauration immédiate qui ne recueillit que 64 voix.

4Edme Armand Gaston, duc d'Audiffret-Pasquier (1823-1905), homme politique français. Auditeur du conseil d’État de 1845 à 1848. Membre du Conseil d'administration des mines d'Anzin. Il devient député de l'Orne en 1871. Inscrit au centre-droit, il contribua à la chute de Thiers. Favorable à la fusion et à la restauration d'une monarchie constitutionnelle, il se résigna, en raison de l'attitude intransigeant du comte de Chambord au vote de la loi du septennat et contribua à la chute du ministère Broglie. Partisan d'une conciliation avec le centre-gauche, il est élu à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 mars 1875 et neuf mois plus tard il est élu sénateur inamovible. Il sera élu à l'Académie française le 24 décembre 1878 au fauteuil de Mgr Dupanloup.

5La famille Leclerc de Juigné était propriétaire du château de Juigné-sur-Sarthe, dans le département de la Sarthe.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 février 1873», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1873,mis à jour le : 19/12/2017