CECI n'est pas EXECUTE 5 mars 1881

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5 mars 1881

Emmanuel de Rorthays à Alfred de Falloux

 

5 mars 1881 Comité d'Action Catholique du Morbihan

Monsieur le Comte,

Le bruit s'était répandu l'an dernier, et pour ma part j'en avais été ravi, que vous aviez été assez heureux pour convertir M. de Mun à une politique plus pratique et plus sensée que celle où il se trouvait fourvoyé pour ainsi dire depuis les débuts. Ce qui, malgré de très légitimes appréhensions, m'avait fait donné quelque créance à ces on dit, avait été de voir son nom figurer sur la liste des membres du comité créé par M. Chesnelong pour la défense exclusive des intérêts religieux.

Mais quoiqu'il en soit de ces velléités de sagesse et d'indépendance, M. de Mun est retombé plus que jamais dans ses anciennes erreurs et le voilà livré aujourd'hui pieds et poings liés à la politique, aux politiques que vous connaissez envoyé par M. le comte de Chambord lui-même ou plutôt par le Roi pour reproduire les termes même d'une lettre de M. de Lambilly1, il vient le 8 mars à Vannes faire une conférence religieuse et politique dont son auguste membre lui a indiqué l'esprit. Ce que sera cet esprit, je l'ignore encore bien que je puisse le prévoir, mais ce que l'on peut en dire dés aujourd'hui, c'est qu'il est loin de l'esprit de respect et de soumission aux évêques. Vous savez peut-être déjà qu'à Paris même, Mgr de Vannes2, conseillé par le nonce, l'archevêque cardinal de Paris, et les 20 évêques réunis à ce moment pour l'Université catholique à Paris, a fait les plus vives instances auprès de lui pour qu'il renonce à cette conférence qu'en dehors de toute autre consultation générale serait aussi pour le Morbihan des résultats désastreux.  M. de Mun a répondu qu'il avait des ordres et s'est refusé à écouter les conseils des  évêques.  

Mgr est revenu vivement et légitimement , je le pense, froissé de ce que l'on eût décidé une conférence religieuse dans son diocèse, dont il avait été le dernier à avoir connaissance et du mépris que l'on faisait de ses avis. Également sur le conseil du nonce et de ses vénérables collègues, il a ajouté à sa lettre pastorale à l'occasion du Carême, un avis pour empêcher ses prêtres d'assister à la conférence du 8 mars, à laquelle on veut tout particulièrement les entraîner .

Il résulte de tous ces faits qu'entre M. de Mun, de Lambilly, et le comité royaliste d'une part, et l'évêché  de l'autre, il y a aujourd'hui état de guerre. Depuis hier la rupture est complète.

M. le Cte de Lambilly, président du comité royaliste a eu il y a quelques jours l'étrange idée d'écrire à Mgr de Vannes pour lui annoncer que le Roi envoyait M. de Mun à Vannes et pour lui dire qu'il espérait qu'il voudrait « rehausser l'éclat » de cette manifestation par sa présence. A cette lettre était jointe une carte d'entrée.

L'évêque a répondu par une lettre indignée. Il y rappelait à M. de Lambilly les efforts qu'il avait fait pour empêcher la conférence à laquelle on l'invitait, uniquement afin de se faire une arme contre lui d'un refus certain. Protestant tout ce qui s'était fait à cet endroit : déclarant que les organisateurs de la réunion et les conférences sur eux de redoutables responsabilités ; il terminait en exprimant l'espoir que ses prêtres mis en garde par lui resteraient unis à leur évêque et se garderaient de se laisser entraîner à se compromettre dans la manifestation à laquelle on les conviait.

Tout ceci paraît bien extraordinaire, ou du moins le serait dans tout autre termes que celui-ci. Mais le comble, le voici.

M. de Mun avait retenu une chambre à Vannes à l'Hôtel de France et prévenu qu'il y coucherait, le 7 : ces dispositions antérieures à la réponse de l’Évêque à M. de Lambilly, qui est du 25 février.

Avant-hier le supérieur du Petit Séminaire de Ste Anne d'Auray a reçu une lettre de M. de Mun l'informant qu'il irait le 7 mars au soir, coucher au Petit Séminaire accompagné de son secrétaire M. Hyrvoix3, ancien sous-préfet de Pontivy en 1877 : ce dernier tellement violent, aborda, maladroit que j'ai du réclamer de M. de Barton son éloignement qui rendait impossible l'élection de M. de Mun ! Très ému et de la nouvelle et du procédé le supérieur est arrivé en toute hâte à Vannes. Mgr a  convoqué son chapitre, consulté les meilleurs et plus fidèles amis prêtres ou laïques de la ville et le résultat a été l'envoi d'un télégramme signifiant à M. de Mun que la porte du Petit Séminaire lui était fermée.

L’Évêque est très ému de cette audacieuse réponse à ses observations, son refus et ses reproches. Il est évident pour tous qu'en venant coucher au Petit Séminaire la veille de la conférence royaliste M. de Mun entendait ravir publiquement l'autorité épiscopale et solidariser le clergé avec lui et le comité. Le bruit court même ce matin qu'il est dans l'arrondissement de Pontivy, unissant ses efforts personnels à ceux que font les membres du comité royaliste pour entraîner le clergé à la conférence au mépris des ordres de l'évêque. Vous reconnaîtrez à de pareils traits, monsieur le Comte la politique inspiratrice des articles de la Civilisation, du , du Gaulois et de l'Univers en ce qui concerne le rôle que l'on veut faire jouer aux évêques. Mais nulle part elle ne s'est affirmée par des actes aussi hardis. Il est évident que le pauvre Morbihan a été choisi en raison des convictions royalistes de la plupart des prêtres pour un terrain d'expérience. Cette tentative pourrait bien tourner contre les auteurs. Mais elle aura en tout état de cause de déplorables conséquences dont nos ennemis seuls pourront bénéficier. Pour compléter ces renseignements je dois vous apprendre que MM. de Mun et de Lambilly ont arrêté la candidature de M. Mayol de Luppé4 en prévision du scrutin de liste pour le Morbihan. C'est absolument insensé. Mes amis [plusieurs mots illisibles] du terrain depuis trois ans et la politique du drapeau blanc transportée sur le terrain électoral car tout ce qu'il peut y avoir de plus redoutable pour les conservateurs du département.

Voici une bien longue lettre. Mais quelque affligeants que soient ces renseignements, je sais qu'ils vous intéresseront. Mgr reçoit des cardinaux, archevêques et évêques encouragements, consolations et conseils. Le nonce5 lui a écrit à ce sujet une très belle lettre.

Malade au Ier de l'an, ainsi que du reste une partie de l'année, j'avais chargé M. Macé6 de vous exprimer mes vœux. Permettez-moi de les renouveler en vous assurant l'expression de mon respectueux et inaltérable attachement.

E. de Rorthays


 

1Propriétaire et conseiller général du Morbihan, demeurant au château de Lambilly, en la commune de Taupont (Morbihan), le comte Jean Gabriel de Lambilly (1834-1896) est un monarchiste fidèle au comte de Chambord.

2Jean-Marie Becel (1825-1897), évêque de Vannes de 1867 à sa mort.

3Léon-Albert Hyrvoix (1848-1931).

4Mayol de Luppé, Henri, comte de (1841-1916), rédacteur en chef de L'Union et collaborateur, à l'occasion, du Correspondant.

5Czacki Włodzimierz, Mgr (1835-1888). Nommé par Léon XIII à la nonciature de Paris, il fut chargé d'appliquer la nouvelle politique du Saint-Siège et en particulier de convaincre les catholiques de ne plus lier leur intérêts à la cause royaliste et d'accepter les nouvelles institutions que la France s'était données. Secrétaire de la Congrégation des Études de 1875 à 1877, secrétaire de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires de 1877 à 1879, nonce à Paris en 1879, cardinal en 1882.

6Albert Macé (1830-1890), journaliste. Rédacteur en chef du Petit Breton, journal du Morbihan dont Emmanuel de Rorthays était alors le directeur.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 mars 1881», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1881,mis à jour le : 22/04/2019