CECI n'est pas EXECUTE 8 septembre 1884

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8 septembre 1884

Eugène Carry (abbé) à Alfred de Falloux

Genève, 8 septembre 1884, 13 rue des Granges

Monsieur le Comte,

J’ai reçu avant-hier la brochure qui contient l’article que vous avez publié dans le Correspondant1. Je vous remercie de tout mon cœur de l’attention bienveillante que vous avez eu de me l’envoyer , et, permettez-moi d’ajouter, je vous remercie aussi de l’acte courageux que vous avez accompli en publiant ces pages.

Enfermé que je suis dans mes montagnes, il m’est très difficile de me rendre compte de l’effet produit en France par votre profession de foi. Je crains fort que votre appel ne soit guère entendu. L’Univers est plus puissant que jamais, et beaucoup qui n’en partagent point les folles extravagances disent que le silence est la seule <mot illisible> qu’il lui faille opposer.

A Rome, on prépare pour ces jours-ci sur les rapports de l’Église et de l’État. Elle paraîtra, je pense, demain ou après-demain. J’ai ouï dire qu’elle est conçue dans un sens très large et élevé. Je n’en doute point, car le Pape Léon XIII est un homme de haute estime. Et quiconque ne fait qu’exposer la doctrine catholique est nécessairement sage et mesuré.

Mais qu’en sortira-t-il ? Rien de pratique pour le moment. Il arrivera ce qui est arrivé pour l’admirable encyclique sur l’origine du pouvoir (juillet 1881)2 et celle aux évêques espagnols3. Les intransigeants chercheront à l’exploiter. Puis, si décidément ils n’en peuvent pas faire gros usage, ils la tairont et se rabattront sur les textes plus vagues du Syllabus4.

Malgré tout, Monsieur, je persiste à croire que vous rendriez un très grand service aux idées qui ont fait la gloire et la force de votre vie, si vous décidiez à faire le pèlerinage de Rome. Je suis convaincu que le Saint-Père aimerait à parler avec vous et que vous pourriez lui donner plus de lumière sur les choses de France. Car c’est la France qu’on me paraît le plus ignorer à Rome.

Ce serait pour plus tard, cela va sans dire, après le choléra5.

M’excusez-vous, Monsieur, de vous parler ainsi malgré ma jeunesse ? Vous devez comprendre que je le fais par amour pour la cause que vous soutenez et aussi par dévouement à quelqu’un qui a daigné me témoigner quelque intérêt. Je vous prie d’agréer l’hommage de mon profond respect.

P. S. Je vous ai envoyé un numéro du Journal de Genève où l’on vous juge très singulièrement. On y parle des intransigeants comme Ste-Beuve6 parle des Jansénistes qu’il veut faire passer pour les seuls chrétiens logiques et conséquents.

E. Carry

 

1Falloux avait publié un long compte rendu du livre que l’abbé Lagrange venait de faire paraître sur la vie de Mgr Dupanloup. Falloux n’y ménageait pas d’une part les catholiques intransigeants de l’école de Veuillot et leurs alliés à Rome, d’autre part les royalistes fidèles à la monarchie chrétienne.

2Diuturnum Illud, 29 juin 1881.

3Cum Multa, 8 décembre 1882.

4Le Syllabus est le texte qui accompagnait l’encyclique Quanta Cura publiée le 8 décembre 1864 par Pie IX. Y sont condamnées toutes les erreurs des temps modernes : panthéisme, libéralisme, socialisme, rationalisme et gallicanisme. La seule condamnation du libéralisme fut ressentie comme une désapprobation des thèses des hommes du Correspondant.

5Une épidémie de choléra s’était développé dans le sud de la France et dans le nord de l’Italie.

6Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869), poète, romancier et critique littéraire. Auteur prolifique, célèbre pour ses Causeries du Lundi et ses Nouveaux Lundis, véritable monument de critique littéraire, familier du salon de la princesse Mathilde, membre de l'Académie depuis 1844, il y était le chef du parti gouvernemental et anticlérical.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «8 septembre 1884», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1884,mis à jour le : 22/04/2018