CECI n'est pas EXECUTE 9 juillet 1875

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9 juillet 1875

Edmond Stofflet à Alfred de Falloux

Le Mans, 9 juillet 1875 L’Union de la Sarthe, 7 Rue et place des Jacobins

 

 

Monsieur le Comte,

 

J’arrive de chez mon évêque1, les larmes aux yeux et le cœur tout serré de regret de n’avoir point conquis ce que vous désiriez mais peut être aussi que toute espérance n’est pas perdue.

Lorsque je lui ai présenté votre livre2, Mgr d’Outremont m’a dit qu’il était très touché de votre bon souvenir et qu’il vous en remerciait infiniment ; puis, lisant le titre, il s’est écrié Ah ! Ce bon Cochin, pourquoi est-il allé se fourvoyer avec Montalembert et aussi avec M. de Falloux parmi les catholiques libéraux ce sont des intelligences d’élite, des cœurs excellents, mais égarés, ils sont dans la mauvaise voie. Et alors est venue une tartine animée contre ces catholiques qui « nécoutent pas les avertissements de Rome » - J’ai interrompu pour dire que personne n’était meilleur catholique que vous, personne plus soumis aux décisions de l’Église - « Oh ! Je sais bien, a repris l’évêque, que M. de Falloux ne se révolte point contre l’Église, amis je luis voudrais voir faire un pas de plus, un acte de soumission publique. Alors il m’a raconté que « plus de trente évêques avaient déploré comme lui les écarts des catholiques libéraux, que l’on vous rangeait parmi eux, que dans son dernier voyage à Rome, il s’en était entretenu longuement avec le Pape, et que le Pape lui avait positivement désigné M. de Falloux comme un de ces catholiques libéraux, auxquels il envoie de si fréquents avis indirects ou directs – Je me suis hasardé à dire que j’avais eu cependant sous les yeux des preuves certaines de l’affection du Saint-Père pour vous ; qu’ayant eu le bonheur de vivre quelque temps près de vous je vous avais vu faire le bien et dire votre prière avec tant de simplicité avec tant d’âmes que je ne pouvais m’empêcher de vous considérer comme un saint. J’ai dit le mot, et je vous demande pardon de vous le répéter, mais il est si vrai ! - Eh bien ! s’il en est ainsi, a repris Mgr d’Outremont, pourquoi M. de Falloux ne part-il pas pour Rôme ? Pourquoi ne va-t-il pas dire au Pape3 : Saint-Père, me voici, que désirez-vous de moi ? Indiquez ce que j’ai dit de condamnable, et je le rétracterai, quel acte de soumission voulez-vous que je signe et je le signerai des deux mains. En agissant ainsi M. de Falloux suivrait le bel exemple de Fénelon4 et tous les nuages alors seraient dissipés. S’il y a des nuages, ai-je dit à mon tour, ce n’est point la faute de M. de Falloux, ce n’est point lui qui les a soulevés, les nuages viennent des tristes polémiques de quelques journaux - L’évêque a répondu qu’il déplorait lui-même ces ardeurs du journalisme qui entretiennent la division parmi les catholiques.

Comme il ne m’était pas possible de continuer avec un évêque cette discussion qui m’affligeait et m’irritait en même temps – oh ! Oui, j’étais bien en colère – j’ai profité de moment pour dire qu’en se plaçant en dehors de ces polémiques fâcheuses, la vie de M. Cochin, si chrétien si dévoué pour l’Église et pour la France, méritait en tous cas d’être citée comme un bel exemple, que c’était naturellement le devoir des Semaines religieuses de signaler les fortifiantes leçons que nous donnent les vaillants catholiques et que je lui demandais, en votre nom, de vouloir bien faire publier dans la Semaine du fidèle [du Mans] un compte rendu de votre livre.

Ceci a paru fort embarrasser le bon évêque ; il a porté des yeux anxieux vers le plafond et il me semble même qu’il s’est produit dans sa physionomie un léger mouvement qui en diminuait le coloris. Sans répondre directement à ma question : « oui dit-il, M. Cochin a certainement fait de belles choses, il a rendu de grands services ; mais je n’ai pas lu le livre de M. de Falloux, je ne le connais que par les discussions dont il a été l’objet. » - Alors j’ai dit que j’avais un n° de la Semaine religieuse du cardinal Donnet5 qui précisément parlait en fort bons termes de votre livre et j’ai tiré de ma poche L’Aquitaine. Ceci a visiblement rassuré Mgr. « Ah ! Très bien, voyons cet article. » Il allait le parcourir lorsque l’on est venu annoncer quelqu’un. Je me suis retiré en demandant de nouveau quelles étaient ses intentions. L’évêque m’a répondu qu’il allait lire votre livre, « examiner de près ce qu’il y a là-dedans » - ce sont ses expressions, en parler au directeur de la Semaine religieuse, qu’il devait précisément voir aujourd’hui, puis enfin qu’il vous écrirait lui-même pour vous remercier et vous dire ce qu’il pourrait faire.

Voilà en résumé notre conversation. Je ne croyais vraiment pas l’évêque si prévenu contre ceux qu’il appelle des catholiques libéraux, et qu’il rend responsable de toutes les divisions. Combien je souffrais de n’avoir pas la puissance de vous défendre comme je l’aurais voulu, c’est-à-dire comme je vous aime pour tout le bien que je vous ai vu faire à d’autres ! Vous me pardonnerez au moins de n’avoir pas su mieux plaider votre cause. Même vaincu, je suis fier d’avoir été un moment votre champion et je le serai toutes les fois que vous me ferez l’honneur de me charger d’une mission.

Voulez-vous que j’attende que l’évêque vous ai écrit avant de remettre un exemplaire de Cochin à la Semaine du fidèle [du Mans] ?.

Agréez Monsieur le Comte, l’assurance de mon profond respect et de mon affectueuse reconnaissance.

E. Stofflet

1Mgr d’Outremont, Hector Albert Chaulet (1825-1884), avocat puis conseiller de préfecture d’Indre-et-Loire, il était entré dans les ordres en 1853. Nommé évêque d’Agen en 1871, il avait été transféré au siège du Mans lors du consistoire du 12 décembre 1874. Le prélat est un proche de L. Veuillot et de Mgr Pie.

2Il s’agit de la biographie que Falloux avait consacré à son ami, Augustin Cochin, Paris, Dider, 1875.

4Condamné par le pape lors de sa querelle théologique contre Bossuet (affaire du quiétisme de 1697), Fénélon, archevêque de Cambrai avait été contraint de faire acte de soumission au pape.

5Mgr Donnet, Ferdinand François Auguste (1795-1882), ordonné prêtre en 1819, il avait été sacré le 30 mai 1835 en qualité d’évêque de Rosa in partibus comme coadjuteur de l’évêque de Nancy et de Toul en 1835. Promu archevêque de Bordeaux le 30 novembre 1837 il sera nommé cardinal au titre de Santa Maria in Via au consistoire de 15 mars 1852.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 juillet 1875», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 14/10/2018