1878 |
16 juin 1878
Alfred de Falloux à Jules de Bertou
16 juin 1878
Cher ami, nous avons voyagé jusqu’à Sablé1 avec les petits Castellane2 confiés pour quelques semaines à leur grand-père qui les attendait à la gare. Madeleine3 gardait le petit Biche4 à Paris jusqu’au moment des eaux, et la grand-mère5 doit être à Rocheplatte6 au moment où je vous écris, ce qui est sa première étape pour Paray-le-Monial7 puis pour Évian. Ici je retrouve tout en bon état sauf les récoltes et malheureusement aussi Madame de Caradeuc8. Loyde9 vient de me dire que Monsieur Letort10 avait paru inquiet hier et avait ordonné la reprise immédiate des pilules de belladone. J’avais trouvé, pour mon compte, son visage assez changé, et, ce matin, elle a voulu d’elles-mêmes assister à la messe de l’abbé au lieu d’aller à la grand-messe. Ne répondez rien surtout ce chapitre parce que vous savez combien tout le monde aime à lire vos lettres. Les Pérignon11 grands et petits vont nous laisser un grand vide. Vous savez qu’en ce qui me concerne je suis désormais résigné à tout ; mais je m’afflige pour Loyde.
Ce départ et le mariage d’Ernest m’ont empêché de revenir par Angers ; mais il est probable que le dentiste m’y ramènera bientôt, et ma consolation sera de vous y retrouver, si vous faites définitivement le sacrifice de Cauterets12 que le mauvais temps me paraît rendre de moins en moins regrettable. Comment vous trouvez-vous du retour au silence et aux conseils de M. Dezanneaux ? Veuillez dire à M. Lachèse13, à M. Chesnet et à tous ceux qui pourraient vous le demander mon revoir prochain et non mon long adieu.
Les nouvelles de Noyant14 que je ne sais pas encore en détail ne semblent pas bonnes. Madame Lemanceau et sa fille sont revenues en même temps que nous, mais Monsieur Lemanceau15 ne revient que demain ou après-demain pour vendre quelques-uns de ces animaux dont il trouve de bons prix. Ce petit bénéfice sera bien à propos en face de foins et de blés bien probablement perdus. Que de misères en résulteront, et quel surcroît de péril pour un pays déjà si menacé ! Paris, quand je l’ai quitté, était tout à l’Exposition16 et à la paix. Il faudra aussi un troisième attentat au roi de Prusse, mais, hélas ! Ce n’est pas cela qui manquera ni là ni ailleurs. Je ne vous parle plus de l’Académie [française], M. de B[ennetot]17 vous ayant complété mon bulletin, avant mon départ, les matinées n’ayant pas été plus libres que par le passé et Lavedan lui-même ayant repris ses habitudes.
1Sablé-sur-Sarthe (Sarthe).
2Boniface dit Boni (1867-1932) et Jean (1868-1948), petit-fils de Pauline de Castellane.
3Madeleine de Castellane (1847-1934), née Leclerc de Juigné ; sa belle-fille, mariée le 3 avril 1866 avec Antoine de Castellane, mère de Boni, Jean et Stanislas.
4Stanislas (1875-1959), dit « Biche », petit-fils de Pauline de Castellane.
6Marie Adrienne Jeanne dit Jenny Drouin de Rocheplatte, née Crublier de Fougères (1816-?).
7Haut-lieu de pèlerinage de Vendée.
8Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.
9Loyde de Falloux (1842-1881), fille unique des Falloux. Atteinte de nanisme, elle était de santé fragile.
10Médecin des Falloux.
11De passage chez les Falloux, les Pérignon repartaient sans doute dans leur château, à Finham (Tar-et-Garonne). Les Pérignon sont alliés des Rességuier, une des filles d'Albert de Rességuier, Geneviève (1842-1904) ayant épousé Dieudonné Henri Marie de Pérignon (1840-1889).
12Cauterets, dans les Pyrénées-Orientales.
13Ambroise Adolphe Lachèse (1800-1883), imprimeur à Angers.
14Noyant-la-Gravoyère, où réside son ami .Paul Brillet de Candé (1837-1913), propriétaire foncier.
15Régisseur du domaine de Falloux.
16Cette Exposition universelle de Paris, la troisième eut lieu du 1er mai au 31 octobre 1878 sur le Champ-de-Mars.
17Joseph de Bennetot, secrétaire de Falloux.
