CECI n'est pas EXECUTE 28 novembre 1880

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28 novembre 1880

Alfred de Falloux à Couvreux

28 novembre 1880*

Cher Monsieur l’abbé,

Monsieur de Rességuier a été assez souffrant tous ces jours-ci et ne peut songer à partir cette semaine, mais il est fermement résolu à partir au plus tard de demain en huit ; le pur hasard le fera donc vous arriver juste en même temps que les Andral, ce qui, je pense, ne sera pas désagréable à Madame de Castellane et la reposera même un peu. Pour moi, les Andral sont un vrai surcroît d’attrait, néanmoins je subordonne tout aux rigueurs de la saison. Il me serait personnellement très agréable d’être malade et, par conséquent, soigné à Rochecotte, mais qui dit maladie dit absence forcée que c’est à quoi je le voudrais exposer ni moi ni la forme horloge, en face de l’état de Madame de Caradeuc. Pardonnez-moi de de ne prendre encore que des engagements facultatifs et reposez-vous sur mon désir ardent pour faire tout possible.

C’est aussi la mauvaise saison qui m’empêche d’aller à la flèche, non pas pour voir les jambes de la duchesse de Chevreuse1, car j’aurais certainement baissé les yeux pendant la constatation, mais pour assister à tout le reste de la scène.

Quelle indignité qu’un tels procès ! Et quel malheur aussi que tant de ridicule si légèrement mêlé aux causes les plus sérieuses. Ah ! Si M. de Baudry d’Asson2 était veuf, quel mariage bien assorti pourrait venir Monseigneur de Ségur3 ou l’évêque d’Angers4, assisté de l’abbé Morel !

Je ris pour ne pas pleurer, comme disait autrefois le comte de Maistre5, mais je pleure tout à fait quand j’envisage les surcroîts de chagrin qui arrive à Rochecotte de tant de côtés à la fois. Suppliez incessamment Madame de C[astellane]. de ne pas aggraver du moins ses propres épreuves en prêtant sa sensibilité aux autres. Il est bien probable qu’il y a là plus d’inconscience et moins de souffrance qu’elle ne le suppose.

L’Univers se vante très formellement d’avoir fait échouer l’amiral Dupré6 c’est-à-dire d’avoir fait passer le général Farre7. Quels imbéciles féroces ! Le pauvre Cumont est ici depuis deux jours très profondément accablés, mais ne pouvant se soustraire entièrement aux préoccupations plutôt aux devoirs de la politique.

 

 

*Archives nationales. Fonds Castellane.

1Julie Valentine de Contades, duchesse de Chevreuse (1824-1900), veuve d'Honoré d'Allbert de Luynes, duc de Chevreuse (1823-1854).

2Baudry d’Asson, Léon Armand (1836-1915), grand propriétaire foncier de Vendée, il s’était fait élire dans la deuxième circonscription de Vendée dés 1876. Il sera régulièrement réélu jusqu’en 1914, siégeant avec la droite. Fidèle au comte de Chambord, Il interpella le gouvernement (janvier 1880) sur la révocation de quelques maires vendéens, qui avaient pris part aux banquets légitimistes d'octobre 1879. Ses interventions vivaces lui valurent une exclusion temporaire lors de la séance du 10 novembre 1880.

3Mgr Gaston de Ségur (1820-1881), fils de la comtesse de Ségur, auditeur de Rote à Rome de 1852 à 1856, il était revenu à Paris pour cause de cécité. Plus modéré que Jules Morel et Louis Veuillot dont il est un des proches, l'évêque demeurait néanmoins un prélat ultramontain et antilibéral.

5Joseph de Maistre (1753-1821), philosophe. Savoyard, il était sujet du roi de Piémont-Sardaigne. Magistrat au Sénat de Savoie comme son père, il quitta la Savoie à l'arrivée des troupes françaises en septembre 1792 et se réfugia en Piémont puis en Suisse. Il publia, en 1797, son premier ouvrage Les considérations sur la France. Rentré en Italie en 1799, il fut chargé par le roi de Sardaigne de le représenter auprès du tsar. Il resta en poste à Saint-Pétersbourg jusqu'en 1817. Revenu en Italie, il mourut à Turin. Auteur de plusieurs ouvrages, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814), Du Pape (1819) et Les Soirées de Saint-Pétersbourg (ouvrage publié en 1821 peu après sa mort), De Maistre, comme De Bonald refusa tout compromis avec les principes nouveaux issus de la révolution. Joseph de Maistre et Mme Swetchine, sur laquelle Falloux écrivit une biographie, avaient lié connaissance en Russie.

6Dupré, Marie Jules (1813-1881), enseigne de vaisseau, il fut nommé gouverneur de la Réunion (1865-1869), puis de la Cochinchine (1871-1874). Membre du conseil d’amirauté en 1874, il sera nommé l’année suivante vice-amiral et préfet maritime.

7Farre, Jean-Joseph (1816-1887), général et homme politique. Il était entré comme ministre de la Guerre dans le premier cabinet Freycinet, le 29 décembre 1879. Ayant quitté son ministère le 13 novembre 1880, il devint sénateur inamovible le 25 novembre 1880. C’est vraisemblablement à cette épisode que Falloux fait allusion quand il évoque l’attitude de L’Univers et son refus de soutenir Dupré contribuant de fait à l’élection d’un homme dont l’engagement à gauche ne se démentira pas jusqu’à sa mort .


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «28 novembre 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 18/04/2019