CECI n'est pas EXECUTE 11 septembre 1880

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11 septembre 1880

Alfred de Falloux à l'abbé Couvreux

11 septembre 1880*

Cher Monsieur l’abbé,

Voilà donc enfin Madame de Castellane dans de beaux draps et je ne puis vous exprimer combien je m’en réjouis. Croyez-bien et elle aussi que le retard de ma visite à Rochecotte m’est un grand supplice ; mais il m’est rigoureusement imposé tant que l’affaire de mon comice n’est pas entièrement débrouillée. J’attends à chaque courrier désormais la réponse de M. de Civrac1 et la marche qu’elle doit m’indiquer en commun avec le conseil général. Aussitôt que je serai fixé là-dessus, je dépêcherai tout de mon mieux et je vous arriverai le jour même où ma conscience agricole aura été mise en règle.

Comment va Melle Dubois2? n’est-elle pas tentée de passer aussi par l’eau froide après y avoir fait passer les autres ? Je suis vraiment heureux d’apercevoir de loin Antoine [de Castellane] redevenu père de famille3 ; tous les devoirs se tiennent et s’il en remplit déjà quelques-uns, j’espère que ceux-là le ramèneront à tous les autres. Je souhaite beaucoup pour Betka4 le voyage de sa mère5 à Rochecotte et le sien mais quel surcroît de fatigue ! Armes vous tous de précautions et de résolutions de ce côté-là. Je vous porterai un volume d’histoire polonaise où les Radziwill jouent un grand rôle et surtout un rôle très original. Rien n’explique mieux que ces histoires, même les plus bouffonnes, le malheureux sort de la Pologne ! Et quel retour cela fait faire sur la pauvre France ! Les mœurs sont assurément fort semblables, mais que de traits de caractère sont pareils !

Mme de Caradeuc6 ne va pas mieux du côté du cerveau, bien loin de là, car cette nuit même elle a fait lever la sœur à deux du matin pour lui dire « Ma sœur, allumez une lumière pour regarder comme je ressemble à une soupière dans le fond de mon lit » En dehors de là, ses forces demeurent dans le statu quo et elle mange maintenant très raisonnablement. Je ne pense donc pas qu’elle soit un obstacle à mon départ, dés que je serai libre.

Quant à la déclaration des Congrégations religieuses rédigée à Rome, je me garderai bien de vous dire ce que j’en pense ; je suis trop heureux de me trouver d’accord avec tout le salon jaune et cela m’arrive si rarement ! En outre, je n’oublie pas que nous touchons au 29 septembre7 et que le banquet de Chambord va très probablement renouveler la face de la France et même celle de l’Europe, y compris les questions orientales. Dés lors, à quoi bon s’escrimer sur une situation qui n’a plus devant elle que quelques jours de durée ! Une seule chose, cependant, cher Monsieur l’abbé, demeurera en dehors des atteintes de Chambord et du marquis de Rancogne8, c’est mon profond respect pour tous les chanoines du vénérable chapitre de Tours.

Falloux

 

 

*Archives nationales. Fonds Castellane.

1Civrac Marie Henri Louis Durfort de (1812-1884), homme politique. Grand propriétaire foncier du Maine-et-Loire, il fut élu député de la 2ème circonscription de Cholet dès 1852 et ne cessa de la représenter jusqu'à sa mort, siégeant avec les légitimistes puis l'Union des Droites.

2Secrétaire de Madame de Castellane.

3Les proches d’Antoine de Castellane s’étaient inquiétés de ses passions excessives pour le jeu qui l’amenèrent à délaisser un temps sa famille.

4Élisabeth Radziwill (1861-1950), petite-fille de Pauline de Castellane.

5Marie Dorothée Élisabeth Radziwill (1840-1915), fille de Madame de Castellane, qui avait épousé, en 1857, Frédéric-Guillaume-Antoine, prince Radziwill, duc de Nieswill.

6Émilie de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), belle-mère de Falloux.

7Date d’anniversaire du comte de Chambord.

8Charles-François de Devezeau de Rancogne (1815-1903), maire d’Herbault et conseiller général du Loir-et-Cher, légitimiste.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 septembre 1880», correspondance-falloux [En ligne], 1880, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 22/04/2019