1883 |
7 février 1883
Alfred de Falloux à Pauline de Castellane
7 février 1883*
Chère, chère Madame,
Je ne vous ai point dit, je ne vous dirai pas combien je suis touché de votre courageuse bonté parce que je ne saurais pas vous le dire assez ; j’aime mieux m’en rapporter à vous pour le deviner. Ce que je remercie le plus après vous, c’est le soleil ; d’abord parce qu’il a un peu diminué votre imprudence et celle de l’abbé Couvreux, ensuite parce qu’il m’a permis de montrer un peu plus d’Angers à Biche1. Veuillez lui répéter cependant qu’il n’a pas tout vu et que je lui réserve encore de bien belles choses pour sa prochaine visite.
Je reçois ce matin un billet de quelqu’un sortant de la rue Solférino2. On n’y est généralement pas optimiste. Cette fois on l’est tout à fait sur le vote du Sénat3. On affirme que rien ne l’ébranlera sur le rejet total, seulement il se déclare tout à fait à tâtons pour le lendemain parce que c’est Grévy et Wilson4 qui ont mené toute cette campagne en personne, que l’échec va peser directement sur eux et qu’on ne peut prévoir quel conseil il leur donnera. Je vous quitte maintenant, chère Madame, pour aller recevoir les cendres et voir toutes sortes d’affligés. C’est un bien bon commencement de carême. Mais vous m’avez fait tous les trois un tel carnaval que je puis plus songer à me plaindre de rien.
A. de F.
*Archives nationales. Fonds Castellane.
1Stanislas de Castellane (1875-1959), dit « Biche », petit-fils de Pauline de Castellane.
3Il s’agit du vote du Sénat sur une proposition de loi sur l’expulsion des princes. Conformément aux espoirs de Falloux, l’amendement du président du Sénat, Léon Say, qui entendait subordonner toute expulsion à un jugement en cours d’assises et donc au verdict du jury populaire, fut adopté par 158 voix. La Chambre aura néanmoins raison de la résistance du Sénat en 1886. Une majorité, certes faible, de sénateurs finira par l’adopter.
4Wilson, Daniel (1840-1919), député de la gauche républicaine.
