CECI n'est pas EXECUTE 10 février 1882

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10 février 1882

Ferdinand Roze à Alfred de Falloux

Roze à Falloux

Paris 10 février 1882

M. le comte, j’ai reçu très exactement les en-tête1 et je suis très heureux de l’appréciation dont vous avez bien voulu les accompagner. Je mets toute mon ambition et tous mes soins à mériter votre approbation…. Je m’arrête d’ici aux 15, il faut être assez ménagé du temps pour ne parler qu’affaires.

J’accepte très bien surpassant au lieu de dépassant, et je m’en veux de ne pas l’avoir trouvé.

Je partage votre avis en ce qui concerne le discours de Versailles et la conférence de la rue de Grenelle. Ce n’était qu’à contrecœur que je me décidais à les mettre dans le premier volume : M. de Rességuier avait vaincu mes objections chronologiques représentant que le premier volume ne contiendrait ainsi que des discours et le second que des brochures. Mais j’avais encore des doutes.

Les discours académiques m’avaient paru aussi au premier abord avoir un inconvénient, celui de sortir de la note politique du volume. Cependant, à la réflexion, cette objection me semblait devoir être écartée au moins pour le discours de réception à l’académie, où, remplaçant le Comte Molé votre sujet, vous a tout naturellement amené à tracer un tableau politique et pour le discours aux funérailles de Berryer, Bertou me paraissait moins justifiable ; quant au prix de vertu, je n’ai pas encore le discours entre les mains. En résumé, je crois que nous pourrions Sans nous écarter de notre cadre, faire appel au discours de réception et au discours aux funérailles de Berryer. Les discours du congrès de Malines2 sont de tous point excellents. Aurions-nous une surabondance de matières, je n’en aurais pas fait aisément ce sacrifice.

Je viens de relire l’exposé des motifs du projet de loi portant suppression de l’école d’administration. Est-ce faiblesse d’un ancien maître des requêtes qui n’a pu se détacher entièrement des choses administratives, je crois qu’il offre encore de l’intérêt. Mais je vous signale une objection : vous dites très justement qu’il est impossible de garantir aux jeunes gens admis à l’école des places dans l’administration, à leur sortie et vous vous exprimez votre pensée en cette phrase : « Pouvons-nous surtout faire concession pour les carrières administratives, celle de toute la venue des esprits les plus ombrageux, l’identité doit rigoureusement exister entre la pensée supérieure et son instrument direct ? Ne serait-il pas à craindre que la mauvaise foi s’empara de cette idée parfaitement juste pour y trouver une prétendue justification des épurations récentes ?

Cette raison déterminerait à écarter l’école d’administration. Dans tous les cas, si nous insérions l’exposé des motifs, je crois qu’il n’y aurait pas lieu de l’accompagner des explications données à la séance du 21 mai 1849.

Passons à la loi sur l’enseignement. Nous donnerons les deux rapports, Ne pensez-vous pas que nous pourrions aussi donner les paroles que vous avez prononcées dans la séance du 4 janvier 1849 en annonçant à l’assemblée le retrait du projet de loi Carnot3. Il y a là une médaille : « je ne me suis pas plus glissé en traître dans l’université que dans la république » je vous signale aussi votre réponse reproche de n’avoir pas soumis la loi au conseil d’État… j’ai interrompu ma lettre pour relire les deux discussions : et je me demande s’il y aurait lieu de les donner in extenso. Elles se réduisent au fond un débat de procédure et peut-être serait-il préférable d’en extraire quelques passages, pour un en-tête. Veuillez vous le faire lire par M. Penaud et me donner votre opinion ainsi que Sur l’exposé des motifs de l’école d’administration.

J’ai encore un point où signaler. Le discours sur l’expédition de Rome, cette route 1849, débute par une réponse aux injures de M. Jules Favre4. Si je ne me trompe vous avais supprimé cette partie du discours dans l’Itinéraire de Turin à Rome, qui est en ce moment entre les mains de M. de Rességuier : j’ai rétabli le texte intégralement. Après que vous eûtes prononcé votre discours M. Jules Favre demande La parole. Fait personnel : faut-il donner votre nouvelle réponse à Jules Favre ? Je crains que la générosité dont vous avez fait preuve envers MM. Trélat et Flocon ne vous conduise à la suppression de ces personnalités. Mais je vous rappelle que j’ai regretté votre générosité envers Trélat5 et Flocon6 : je regretterai celle-ci encore davantage.

Je placerai: fermer une porte à l’abus sans ouvrir deux portes au travail. Je peux même vous donner ce choix à cet égard : le mot a été dit par vous dans la séance du 30 mai, (discussion du premier décret sur les ateliers nationaux) mon en-tête précédant votre rapport est ainsi conçu : « ce même qui avait reçu du gouvernement provisoire sape la mission de les organiser (les ateliers) vinrent demander au comité du travail qu’il fut procédé d’urgence à leur dissolution. Le comité s’y refusa… etc. » je mettrai : le comité s’y refusa ; il pensa qu’il y aurait à la fois inhumanité et imprudence à prononcer le licenciement des ouvriers sans leur avoir préparé des moyens de travail et d’existence ; il ne voulut pas, suivant l’expression de M. de Falloux, fermer une porte à l’abus sans en ouvrir deux au travail. » Cela n’est qu’une variante, mais voilà ma deuxième solution. Au lieu de mettre le mot dans l’en-tête, je pourrais le mettre dans l’en-queue (pardonnez ce néologisme !! ) Et voici comment : « dans la discussion à laquelle donna lieu le projet de décret, M. de Falloux proteste de l’esprit de conciliation qui animait le comité « nous n’avons pas voulu, dit-il… etc. »Je ne vous donne pas la forme pour définitif ; l’heure du courrier me presse. Pour moi, je préférerais l’en-tête, car la raison dominante qui nous a empêché de reproduire les courtes observations que vous avez présentées dans la discussion, c’est que vous y déclarez respecter « le principe du droit au travail accompagné du devoir du travail.» Ces mots seraient peut-être mal compris aujourd’hui et nous a paru qu’il valait mieux ne pas les reproduire. Supprimant cela, n’est-il pas préférable de ne faire aucune allusion à la part que vous avez prise dans la discussion ? Je vous laisse le soin de décider (on pourrait dire dans l’en-tête : le comité ne voulut pas, ainsi que le déclara M. de Falloux à l’assemblée, dans la séance du 30 mai…etc. Ce serait l’exactitude même.

Je mentionne dans l’en-queue Drault7 que M. Guizot fut votre contradicteur8.

J’abrégerai le résumé des dispositions de la loi électorale.

Est-ce tout ? Il le faut bien, l’heure impitoyable est là qui me presse et je crains qu’il ne me reste plus que la ressource des leviers exceptionnelles. Veuillez agréer, M. le Comte, l’assurance de mon profond et respectueux attachement.

Veuillez exprimer mes amitiés à M. Penaud… et excuser mon griffonnage.

Il ne me reste à faire qu’un en-tête pour les notes du discours Salvandy9, un en-tête pour l’exposé des motifs de la loi d’enseignement. J’attends des renseignements de M. de Rességuier. Vous le voyez, je serai prêt.

F. Roze

Veuillez exprimer mes amitiés à M. Penaud….et excuser mon griffonnage.

 

1F. Roze et A. de Rességuier travaillaient sur le manuscrit d'A. de Falloux qui devait réunir plusieurs de ses discours et brochures. L'ouvrage comprenait deux volumes qui seront publiés quelques mois plus tard sous le titre Discours et mélanges politiques, Paris Plon, 1882.

2Le 3 septembre 1867, Falloux avait prononcé un important discours sur la situation en Italie au Congrès des catholiques à Malines, en Belgique.

3Lazare Hippolyte Carnot (1801-1888), homme politique. Second fils de Lazare Carnot, membre du Comité de Salut Public, il était acquis comme son père aux idées républicaines. D’abord saint-simonien, il fut élu en 1839 député de l'opposition radicale sous la Monarchie de Juillet. Nommé par le gouvernement provisoire ministre de l’Instruction publique et des Cultes du 24 février au 11 mai 1848 et du 29 juin au 5 juillet 1848, puis ministre de l'Instruction Publique du 11 mai au 28 juin 1848. Hostile au projet d'enseignement déposé par Carnot, Falloux avait largement contribué à le faire repousser par l'Assemblée. Élu à la Constituante et à la Législative, Carnot fut un des rares élus de l'opposition républicaine sous l’Empire. Membre de l’Assemblée nationale en février 1871, il fut l’un des fondateurs de la Gauche républicaine. Il devint sénateur inamovible en décembre 1875.

4Favre, Jules (1809-1880), avocat et homme politique. Il devint vite l’un des chefs les plus célèbres du Barreau de Paris, principalement dans les affaires politique. Ardent républicain, il fut secrétaire général au ministère de l’Intérieur, en 1848, sous Ledru-Rollin. Élu lors des élections partielles de 1858, il devint l’un des chefs de l’opposition républicaine au Corps Législatif. Avec quatre autres républicains (Ollivier, Darimon, Hénon, Picard), il forma, à partir de la session de 1859, le groupe dit des Cinq, opposition majeure à l’empire autoritaire jusqu’en 1863. Il fut réélu en 1863. Après la chute de l’Empire, il se vit confier le poste de ministre des Affaires étrangères ; il se chargea d’organiser la résistance aux Prussiens et négocia un traité de paix.

5Trélat, Ulysse (1795-1879), médecin et homme politique. Nommé commissaire extraordinaire du gouvernement provisoire de 1848 dans plusieurs départements du centre, il fut élu à l'Assemblée constituante par le Puy-de-Dôme. Devenu peu après ministre des Travaux publics, il fut aux prises avec la délicate question des ateliers nationaux. Falloux, alors député lui reprocha « sa coupable inaction » sur cette question et obtint la nomination d'une commission spéciale qui fera aussitôt fermer ce « caravansérail du chômage » que représentaient ces ateliers, ce qui, on le sait, fut le phénomène déclencheur de l'insurrection de juin 1848.

6Flocon, Ferdinand (1800-1866), journaliste et homme politique. Membre de plusieurs société républicaines dont celle des carbonari, il prit une part active à la révolution de Juillet et collabora quelque temps au Constitutionnel. Entré au journal républicain, La Tribune, il mena une lutte sans relâche contre le gouvernement Louis-Philippe. En 1843, il rejoignit La Réforme, le journal patronné par Ledru-Rollin. Nommé ministre de l'agriculture et du commerce dans le gouvernement provisoire, il sera peu après élu député de la Seine à l'Assemblée constituante où il siégea sur les bancs de la Montagne. Cependant, il se désolidarisa de son groupe lors des journées de juin se rangeant aux côtés de Cavaignac lorsque celui-ci réprima et déporta les insurgés. Banni par le coup d'état du 2 décembre 1851, il s'exila à Lausanne où il mourut sans avoir revu la France.

7Alexis-Sylvain Drault (1795-1848), homme politique. Député de la Vienne depuis 1833, membre de l'opposition dynastique, constamment réélu jusqu'à la révolution de 1848, il fut député de l'Assemblée constituante de ce même département.

8Allusion au débat qui opposa le jeune député Falloux à Guizot alors chef du gouvernement à propos de l’élection contestée de Drault en 1846.

9Narcisse-Achille, comte de Salvandy (1795-1856), publiciste et homme politique. Maître des requêtes sous la Restauration, il se rallia à la Monarchie de Juillet. Membre de l'Académie Française (1835), ministre de l'Instruction publique dans le cabinet Molé, de 1837 à 1839, puis de 1845 à 1848.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 février 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 15/02/2020