1882 |
20 février 1882
Ferdinand Roze à Alfred de Falloux
Roze à Falloux
Paris 20 février 1882
M. le comte, je suis un peu confus de la lettre que je vous ai écrite hier et qui, je crains, était aussi obscure qu’elle était longue et griffonnée. Après réflexion, je vais prier M. Jardry1 de se procurer un exemplaire de la deuxième édition du Parti catholique pour vous l’adresser mais ne vous donnez pas la peine de recommencer le travail que vous avez fait sur le Correspondant. Je m’y suis très bien retrouvé sauf pour la dernière note (dont la péroraison que vous me demandez de supprimer. Je n’ai pas de note dans mon édition2. Je suis convaincu que vous avez apporté des remaniements Et des additions au texte du Correspondant ; et je crois que le moyen le plus simple et le plus expéditif pour que nous nous entendions sur les corrections est que nous ayons chacun de notre côté, le même exemplaire. Voici comment je compte procéder, Je lirai la brochure avec M. de Rességuier; nous examinerons si des corrections autres que celles que vous m’avez indiquées et dont j’ai pris note sont nécessaires et je vous rendrai compte de notre travail. Mais ce ne sera pas avant vendredi ou samedi : j’espérais voir M. de Rességuier aujourd’hui, mais il consacre les jours gras à ses petits-enfants et notre première conférence ne pourra avoir lieu que mercredi ou jeudi. D’ici là, je saurai utiliser mon temps. Ne me plaignez pas ; le travail que je fais en ce moment m’intéresse au plus haut point et je ne saurais plus agréablement passer mes journées.
Je réponds maintenant par rapport à votre lettre que j’ai reçu ce matin. J’avais déjà maintenu dans le texte : le citoyen. Je n’ai donc rien à changer.
Je crois qu’il est préférable de ne pas revenir sur la suppression que vous aviez faite dans l’Itinéraire, du passage relatif à M. de Lesseps3. On en comprendra parfaitement les motifs, si l’on s’en aperçoit. Nous sommes donc d’accord pour ne pas rétablir ce passage et ne pas en indiquer la suppression par des points.
Si charmant que soit votre discours de bienvenue à M. Villemain4, nous le laisserons de côté à cause de son caractère purement littéraire.
Le discours de réception à l’Académie sera également supprimé si nous n’avons pas besoin de ce renfort pour atteindre nos 400 pages. Je compte aller tout à l’heure chez M. Plon5 qui, je l’espère, pourra me renseigner sur ce point.
Sarcler me parer excellente. Je ferai la correction tout à l’heure à l’imprimerie même… un scrupule cependant, dit-on sarcler la terre ou sarcler les herbes ? À cela vous pouvez me répondre que sarcler est pris ici dans le sens neutre. Cependant relisez la phrase : Sarcler, bêcher, préparer la terre. Je m’avoue trop peu expert en matière de jardinage pour décider la question.
J’ai trouvé l’allocution à l’évêque d’Orléans6 dans le recueil que vous m’avez remis au Bourg d’Iré et qui se compose de colonnes de journaux, réunies et collées sur papier blanc par M. Jardry.
L’allocution est très courte : je prierai M. Jardry de vous la copier et de vous l’adresser. Ce n’est pas moi qui ai fait les corrections au discours de Malines : c’est M. de Rességuier qui a pris ce soin, tandis que j’achevais mes derniers en-tête. C’était à sa visite du 15 et la divisions du travail était plus que jamais une nécessité. Mais soyez assuré que je donnerai toute mon attention à la correction des épreuves.
Comme je vous le disais hier, j’ai donné la préférence à l’en-tête de 10 lignes précédant la loi Salvandy.
Je rétablirai la mention de la protestation de M. Charles Dupin7 contre la lésinerie (?) de M. Maréchal8.
Nous n’avons pas cru devoir donner à la suite de l’exposé des motifs de la loi de l’enseignement le texte même du projet de loi. Nous avons agi autrement pour le texte du projet de loi sur l’école d’administration, pour le texte des décrets sur les ateliers nationaux et des arrêtés nommant les commissions pour la préparation de la loi de 1850. Mais la raison de cette différence est que ces divers actes sont courts et ne prendront pas plus d’une page chacun, tandis que le projet de loi sur l’enseignement occuperait bien une dizaine de pages ; en second lieu les actes que je vous ai cités sont oubliées aujourd’hui tandis que la loi de l’enseignement est connue.
Nous mettrons donc, si vous le voulez bien, après l’exposé des motifs ces mots entre parenthèses : (suivait le texte du projet de loi)
Je n’avais pas mentionné votre départ du ministère ; je m’étais borné à dire que retenu loin de Paris par la maladie vous n’aviez pu prendre part à la discussion du projet de loi. C’est une lacune que je vous propose de combler ainsi : « le 31 octobre 1849 M. de Falloux fut remplacé au ministère de l’Instruction publique et des cultes par M. de Parieu9. Le mauvais état de sa santé l’ayant peu de temps après, obligé de quitter Paris, il ne put prendre part à la discussion du projet de loi qu’il avait présentée et qui devait aboutir à la loi du 15 mars 1850 »
J’ai mis « peu de temps après » pour que l’on ne croit pas que vous aviez donné votre démission pour raisons de santé. Ce qui, si j’ose me tromper serait inexact.
Loin de Paris, est-il juste ?
Il m’a paru inutile de mentionner ceci : la discussion, retardée par le renvoi du projet de loi à l’examen préalable du Conseil d’État, s’ouvrit le 14 janvier 1850. On retrouvera ses détails dans le Parti catholique.
Enfin, je vérifierai la date du 31 octobre. Je l’ai prise dans le Parti catholique mais dans ses mémoires, M. Odilon Barrot donne le 28 octobre. Probablement le 28 est la date de la démission et le 31 celui de l’apparition du nouveau ministre au Moniteur.
Veuillez me dire si ces quelques mots vous satisfont.
Nous avons supprimé dans l’avant-propos général le mot général qui n’avait pas de raison d’être. Votre désir était donc exaucé d’avance.
Je crois avoir répondu à tous et peut-être trop longuement. Je m’étais cependant si bien promis de ne pas vous fatiguer d’une lettre trop volumineuse !
Veuillez agréer, M. le comte, l’assurance de mon profond et respectueux dévouement.
F. Roze
Mon père10 me prie chaque fois que je vous écris de vous présenter ses respectueux hommages.
Je suis coupable de nombreuses commissions. Mes amitiés à M. Penaud.
1Secrétaire de Falloux.
2F. Roze et A. de Rességuier assistés de Jardry collaboraient à l’édition d’un ouvrage de Falloux rassemblant certains de ses discours et articles qui allait paraître sous le titre de Discours et mélanges politiques, Paris, Plon, 1882.
3Lesseps Ferdinand de (1805-1894), entrepreneur et diplomate. Après avoir exercé le métier de diplomate dans plusieurs ville orientales, il devint le véritable promoteur des deux projets de canaux qui lui valurent d'être resté célèbre (Suez et Panama) et d'être élu à l'Académie française en 1884.
4Villemain, Abel-François (1790-1870), critique littéraire, historien et homme politique français. Nommé professeur de littérature française à la Sorbonne en 1816, il fut élu cinq ans plus tard à l’Académie française. Il fut ministre de l’Instruction publique dans le ministère Soult (mai 1839-février 1840) et dans le ministère Soult-Guizot (octobre 1840-décembre 1844). Contraint, pour des raisons de santé de quitter la scène politique, il rentra dans la vie privée et rédigea plusieurs ouvrages sur l’histoire et la littérature.
5Éditeur.
7Dupin, François-Pierre-Charles (1784-1873), statisticien et homme politique français. Diplômé de l’École polytechnique, il débuta sa carrière comme ingénieur de la marine et effectua des recherches dans la construction navale. Ami de Carnot, il se fit élire député du parti libéral en 1828. Il protesta contre le ministère Polignac et fit partie du groupe des 221. Élu député de Paris quelques jours avant la révolution de Juillet, il devint successivement conseiller d’État (1831), membre de l’Académie des Sciences morales et politiques (1832) et pair de France (1837). Nommé représentant de la Seine Inférieure aux élections de février 1848, il fit partie de la commission qui proposa la dissolution des ateliers nationaux le 23 juin 1848. Réélu en mai 1849 (parti de l’Ordre), il entra au Sénat peu après le coup d’état de décembre.
8Marchal, Pierre François (1785-1864), notaire et homme politique.Notaire à Nancy, il est député de la Meurthe de 1827 à 1834, de 1837 à 1845 et de 1848 à 1849. Il siégea avec l'opposition libérale sous la Restauration et prit part aux journées de Juillet 1830. Il continua de siéger avec l'opposition sous la Monarchie de Juillet et vota avec la gauche sous l’Assemblée constituante.
9Parieu, Félix Marie Louis Pierre Esquirou de (1815-1893), homme d’État, le 31 octobre 1849 il avait succédé à Falloux au ministère de l'Instruction publique et des Cultes, fonction qu'il conservera jusqu'au 24 janvier 1851. Il fera voter la loi de l'enseignement élaborée par Falloux. Vice-président du Conseil d’État de 1855 à 1870, il sera ministre présidant le Conseil d’État du 2 janvier 1870 au 10 août 1870. La « petite » loi Parieu, loi de l'enseignement élaborée par Falloux et quelque peu amendée sera votée le 15 mars 1850.
10Roze, Pierre-Gustave (1812-1883), militaire. Promu enseigne de vaisseau en 1837, il avait pris part à l'expédition du Mexique. Capitaine de vaisseau en 1856, contre-amiral en 1862, il sera nommé gouverneur de Cochinchine en 1865. Il avait quitté le service actif en 1877.