CECI n'est pas EXECUTE 16 mars 1882

1882 |

16 mars 1882

Ferdinand Roze à Alfred de Falloux

Paris 16 mars 1882

Monsieur le comte, j’ai reçu ce matin les quatre en-tête que vous m’avez adressé ; nous n’avions pensé d’abord qu’à deux en-tête, l’un pour la question italienne, l’autre pour la convention du 15 septembre et je me demande s’il en faut pour le devoir et les antécédents de la situation1. Si vous me le permettez je réfléchirai, je prendrai sur moi de supprimer pour ne pas retarder la remise à M. Plon2.

Je viens de voir tout à l’heure M. de Rességuier et nous sommes convenus de plusieurs choses que voici.

D’abord dans votre réponse à M. Ledru-Rollin3, page 219, 14e épreuve, vous répondez à une interruption de M. Pyat4: « L’honorable M. Pyat me dit que Paris ne veut pas de moi etc. Malgré votre aversion, bien connue de nous, pour les notes, il nous a semblé qu’une note était nécessaire et voici ce que nous avons rédigé : « Aux élections pour l’Assemblée législative, la candidature de tous les membres du cabinet ayant été posée à Paris, M. Odilon Barrot président du conseil fut élu par 112.000 voix ; M. de Falloux obtint 98 suffrages. M. de Falloux fut élu dans le département de Maine-et-Loire »

Si la lecture de cette note vous suggérait quelques réflexions, veuillez écrire directement à M. de Rességuier, peut-être même lui envoyer une dépêche car ne devant pas être loin du bon à tirer et ainsi prévenu, nous attendrions votre correction avant de donner ce terrible bon à tirer.

Deuxième point. Il y a dans le discours de Rome une phrase qui a surpris le conseil de révision. N’ayant sous les yeux, ni placard ni épreuve (j’ai tout remis à M. Jardry5), je vous renvoie à l’Itinéraire de Turin à Rome, page 18 de la brochure. C’est la phrase : « lorsque l’on se promène à Rome, au milieu des monuments…Nous n’avons pas compris pourquoi vous vous excusiez d’introduire pour la première fois dans ce langage parlementaire, le mot de monuments: nous avons pensé que votre étonnement serait partagé du lecteur et nous avons une idée de modifier ainsi la phrase :

Lorsque le voyageur se promène au milieu de ces grands personnages historiques, de ses personnages vivants qu’on appelle les monuments de Rome, et l’honorable M. de Tocqueville vous disait tout à l’heure à quel point notre armée s’est associée aux sentiments de respect qu’ils inspirent, le voyageur demande souvent…

(Admirez en passant mon étourderie : je recopiais textuellement votre phrase.)

Ici encore si vous avez une objection, nous sommes prêts à nous soumettre.

Troisième point. Nous nous sommes demandés à quelle place nous mettrions les deux discours d’Angers, je parle des deux discours de distribution des prix. Je vais tout naturellement penser à l’ordre chronologique, mais M. de Rességuier n’est pas de cet avis et il m’a persuadé.

Ces deux discours sur l’un de 1850, l’autre de 1851. Celui de 1850 en suivant l’ordre des dates, se passerait entre le discours de distribution des prix à la Sorbonne (1849) et le discours sur la révision (1851).

M. de Rességuier craint qu’ainsi intercalé, il n’interrompt mal à propos la suite du discours politique. Il verrait en outre un avantage à rapprocher vos deux discours d’Angers, prononcés tous deux dans la même ville, devant un public qui devait être composé des mêmes éléments, ouvriers chez les frères, ouvriers à l’École des arts et métiers. Ces arguments décident M. de Rességuier intervertir l’ordre des dates et à donner le discours de 1850 après le discours sur la Révision. J’hésitais ; M. de Rességuier m’a paru si convaincu qu’il m’a amené (voilà un hiatus qu’il ne faudrait pas laisser!) à son sentiment. Qu’en pensez-vous ? Qu’encore, il faudrait une prompte d’insérer dans le terme premier volume votre lettre de la Gazette de France. Je n’en suis pas du tout partisan ; d’abord c’est une lettre et pas un discours, en second lieu sa place me paraît être après l’Itinéraire ou nulle part. J’ai donc écarté cette proposition.

Je ne vous parle pas du discours à l’académie : vos lettres m’ont trop dit combien vous désiriez l’éviter. Mais pourquoi avoir supprimé votre allocution à l’évêque d’Orléans6 (Congrès de Malines) ? Elle me paraissait, autant que je me rappelle, faire fort bonne figure…

Maintenant, je réponds à votre lettre. Nous maintiendrons les deux mentions de votre maladie.

Dans le Parti catholique, je parlerai uniquement du retrait de la loi Carnot7. C’est d’ailleurs fait. Le parti catholique a été remis hier à M. Plon, l’Itinéraire suivra, dès que vous m’aurez renvoyé vos corrections.

À l’introduction aux lettres du père Lacordaire, je maintiendrai : à Madame Swetchine.

Je maintiendrai outrages abjects p. 120. Je suis tout à fait de votre avis (je ne vous parle de cette correction que parce que vous y revenez dans votre lettre du 13 mars. Mais bien entendu, toutes les autres corrections dont je ne parle pas seront faites.=

...Qu’ai-je encore dire touchant votre travail ?… Je ne vois plus rien.

Mme Roze, que vous avez le plus grand tort de croire votre ennemi, vous êtes très reconnaissant de l’offre aimable que vous lui faites et qu’elle accepte avec grand plaisir. Une séance de l’académie (n’en déplaise à M. Penaud) est toujours chose fort intéressante et le nom de Maxime du Camp8 ajoute à son attrait. C’est peut-être peu poli de ne pas parler de Sully Prudhomme9 ; mais j’avoue à ma confusion, ne l’avoir pas assez pratiqué pour être sûr de son talent d’orateur. Seulement vous aurez un petit péché sur la conscience, il n’y a pas que l’académie qui reçoit le jeudi ; c’est aussi le jour de Mme Roze.

Si parva licet magnis componere rebus10 (pardonnez moi cette citation, mais puisque nous sommes sur le terrain académique!)

Je ne vous donne ce détail d’intérieur que pour bien prouver le prix que Mme Roze attache au plaisir dont elle vous sera redevable.

Combien j’aurai à vous dire, pour protester contre la pensée que j’ai pu un instant regretter l’engagement que j’ai pris vis-à-vis de vous ! Qu’il est heureux que l’heure inexorable du courrier m’avertisse de terminer cette interminable lettre ! Dussé-je manquer la poste, je vous le répéterai encore et encore : je vous dois ce travail le plus intéressant, le plus agréable et je suis votre obligé. Il n’y a pas la de point d’honneur; il n’y a de ma part qu’un sentiment sincère, je vous assure. Je ne saurais vous exprimer à quel point je suis heureux de l’amitié que vous voulez bien me témoigner et fier de votre appréciation, le seul petit nuage dans mon horizon, c’est la crainte de ne pas faire tout à fait bien, étant donné la rapidité de mon travail. Mais votre indulgence me rassure !

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’assurance de mon profond et respectueux dévouement.

F. Roze

Hommage respectueux de mon père. Mes amitiés, je vous prie à Monsieur Penaud.

1F. Roze et A. de Rességuier assistés de Jardry collaboraient à l’édition d’un ouvrage de Falloux rassemblant certains de ses discours et articles qui allait paraître sous le titre de Discours et mélanges politiques, Paris, Plon, 1882.

2Éditeur.

3Alexandre Ledru-Rollin (1807-1874); élu en 1841, il fut l'un des membres importants du parti républicain. Un des fondateurs du journal socialisant, La Réforme. Ayant pris une part prépondérante à la révolution de Février; il avait été nommé ministre de l'Intérieur dans le gouvernement provisoire.

4Pyat, Félix (1810-1889), avocat et homme politique. Élu à l’Assemblée Constituante, il fut nommé commissaire de la République dans le Cher. Réélu à l’Assemblée Législative, il s’exila en Suisse après les émeutes du 13 mai 1849. Séjournant à Bruxelles puis à Londres, il fut membre de l’Internationale. Rentré en France en 1869, il est menacé d’arrestation et contraint de retourner en Angleterre. Il revient en France après la chute de l’Empire, et se fait élire à l’Assemblée nationale qu’il quitte pour rejoindre la Commune. Élu sénateur du Cher en 1887, il sera élu député des Bouches-du-Rhone l’année suivante.

5Secrétaire de Falloux.

6Mgr Dupanloup.

7Lazare Hippolyte Carnot (1801-1888), homme politique. Second fils de Lazare Carnot, membre du Comité de Salut Public, il était acquis comme son père aux idées républicaines. D’abord saint-simonien, il fut élu en 1839 député de l'opposition radicale sous la Monarchie de Juillet. Nommé par le gouvernement provisoire ministre de l’Instruction publique et des Cultes du 24 février au 11 mai 1848 et du 29 juin au 5 juillet 1848, puis ministre de l'Instruction Publique du 11 mai au 28 juin 1848. Hostile au projet d'enseignement déposé par Carnot, Falloux avait largement contribué à le faire repousser par l'Assemblée. Élu à la Constituante et à la Législative, Carnot fut un des rares élus de l'opposition républicaine sous l’Empire. Membre de l’Assemblée nationale en février 1871, il fut l’un des fondateurs de la Gauche républicaine. Il devint sénateur inamovible en décembre 1875.

8Du Camp, Maxime (1822-1894), journaliste et écrivain. Un des fondateurs de la Revue de Paris, proche de G. Flaubert, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages dont Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie (6 vol.). Il avait été élu à l'Académie française le 26 février 1880, au fauteuil de Taillandier, fauteuil convoité par Ch. de Mazade.

9Prudhomme, René Armand François, dit Sully Prudhomme (1839-1901) poète, il sera le premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

10Proverbe latin : Si nous passons du grave au doux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 mars 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 12/11/2020