CECI n'est pas EXECUTE 29 octobre 1862

Année 1862 |

29 octobre 1862

Paul de Noailles à Alfred de Falloux

Maintenon1, 29 octobre 1862

Mon très cher confrère2,

J’ai reçu votre lettre et la communication dont vous avez été chargés. Personne plus que moi ne s’unit de cœur au regret vif et profond de Madame de Castellane et n’apprécie davantage les grandes qualités de celle3 qu’elle vient de perdre si cruellement. Je ne me pardonnerai pas de n’avoir pas cédé à ses aimables et affectueuses sollicitations, en allant la voir dans le lieu où depuis plus de vingt ans elle avait fixé avec tant d’éclat et de dignité son existence. Hélas ! On se croit toujours sûr de l’avenir !

Personne assurément non plus ne serait mieux disposé que moi à rendre un public hommage à ces qualités dont je parlais tout à l’heure. Ma crainte serait de ne pas le faire assez bien : mais j’y vois quelques obstacles. Madame de Sagan a trop été un personnage pour qu’on puisse se borner à annoncer la perte qu’on a fait, en ajoutant quelques lignes à son éloge, ce qui se fait aujourd’hui pour tant de monde. D’ailleurs, l’événement de sa mort est déjà assez éloigné pour que la nouvelle à en donner puisse servir de prétexte, d’autant plus qu’absente depuis plus de 20 ans et redevenue allemande, elle est à peine connue de la génération actuelle, qu’on sait si peu de choses de l’ancienne. Il en résulte, comme le pense Madame de Castellane, que ce qu’il y aurait à faire se serait une véritable biographie. Après l’article de Monsieur de Barante dans les Débats4, et celui qui doit paraître dans la Revue des Deux Mondes, ce sera encore plus nécessaire pour le Correspondant, réduit sans cela à répéter les phrases générales déjà dites.

Or, je manquerai complètement des éléments nécessaires à ce travail qu’on demanderait à être sérieusement fait. Je ne me suis lié avec la duchesse Sagan qu’en 1832, et lui avait jusque-là été assez étranger. Bien des faits, bien des dates, bien des renseignements me manqueraient sur sa famille, et la première partie de sa vie, et j’ignore trop aussi tous les détails de la dernière partie, c’est-à-dire des vingt dernières années, sur l’existence qu’elle s’était faite à Sagan. Il ne faudrait pas écrire incomplètement et médiocrement sûr elle.

Veuillez, mon cher confrère, soumettre mes réflexions à Madame de Castellane en lui renouvelant tous mes hommages et agréez la nouvelle assurance de tous mes sentiments.

Noailles

1Ancienne demeure de Madame de Maintenon, le château de Maintenon, en Eure-et-Loir, appartient alors au duc de Noailles.

2Paul de Noailles est également académicien.

3Dorothée, princesse de Courlande (1793-1862), comtesse Edmond de Périgord, puis duchesse de Dino (titre sous lequel elle est passée à la postérité), puis duchesse de Talleyrand et duchesse de Sagan. Elle venait de temps à autre séjourner chez sa fille Pauline de Castellane, en son château de Rochecotte, à Saint-Patrice, en Indre-et-Loire.

4Journal des Débats. Prosper de Barante venait d’y consacrer un article à la Duchesse de Sagan, décédée quelques semaines plus tôt.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «29 octobre 1862», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1862,mis à jour le : 02/03/2020