1876 |
12 octobre 1876
Alfred de Falloux à Jules de Bertou
12 octobre 1876
Cher ami, ma mémoire est bien moins admirable que votre plan qui aurait été déjà très utile si je n’avais trouvé en arrivant ma pauvre malade moins en état que jamais de fixer son attention. Hier, il n’y avait plus du tout de fièvre et M. Letort1 a formellement assuré que cet accident n’aurait pas de suites. Il en a cependant une inévitable, c’est l’affaiblissement, et plus je vois tout ce qui se succède de semaine en semaine, tantôt sous une forme tantôt sous une autre, plus je reviens à ma pensée première de préférer la ville où l’on a tout sous la main à n’importe quelle belle position dans la banlieue dont Marie profitera à de si rares et de si courts intervalles. Ceci me ramène donc tout droit à l’hôtel Fadette.
Je ne croyais pas Léopold si étourdi, et je ne puis comprendre comment il s’obstine dans une adresse qui lui a si mal réussi, au lieu de passer chez le portier de l’hôtel, dans ses innombrables courses de Tours, et d’y bien prendre ses sûretés. Cela ajoute à ma reconnaissance pour M. Mame2 et à mon impatience d’apprendre de lui mon sort. Dés que cette réponse me sera parvenue, je reprendrai la route de Tours, et rien, sauf une apoplexie, ne m’empêchera d’aller chercher un peu de consolation à Rochecotte qu’il m’en a tant coûté de voir deux fois de loin, dans la rapidité d’un train express. Je n’aurais pu résister à un train-omnibus.
Vous n’avez sans doute pas aperçu, dans L’Union de l’Ouest, la réplique à la Semaine religieuse ; elle vous aurait donné une idée, très imparfaite, du reste de ma conversation avec l’évêque3 à Angers. Je l’ai nettement mis au pied du mûr pour le volume Cochin4, et il m’a aussitôt prodigué les plus tendres protestations « Je suis avant tout un homme pacifique » m’a-t-il dit, à quoi je n’ai pu retenir le plus franc éclat de rire, en m’écriant : «Ah ! Mgr combien vous êtes méconnu ! » Et le tout a fini par une conversation d’une heure sur l’évêque de Gap5, sur l’Orient, conversation à laquelle il a paru prendre tant de plaisir qu’il m’a reconduit jusqu’à la sentinelle qui garde sa porte extérieure.
Nos nominations de maires6 sont bonnes7. Fitz-James8 s’est désisté en faveur d’Arthur de St-Genys9 qui a été adopté sans la moindre difficulté ; Salmonière10, qui s’est résigné à l’écharpe tricolore !!a été élu ; Jules Veillon11 a passé en se donnant sa voix ; Pontbriand12 a été nommé à Loiré13 par 13 voix sur 15 ; il n’y a que le pauvre Armand de Narcé14 qui, cette fois encore, n’a pu aller au-delà de deux voix ; M. Lemanceau15 a été élu après avoir fait de grands efforts en faveur de M. Jamin16. Et la Touraine ?
Vous avez dû recevoir hier un mot de Mme de Caradeuc ; aujourd’hui elle a six sangsues au pied, par pure précaution, et cause très gaiement sur son lit.
Mille regrets encore d’Haussonville, par l’intermédiaire des plumes charitables. Au revoir, au revoir ! cher tous.
Alfred
1Médecin de la famille Falloux.
2Fondateur et directeur de l’imprimerie qui porte son nom à Tours.
4Falloux venait de consacrer un ouvrage à la vie de son ami Augustin Cochin.
5Mgr Guilbert Aimé Victor François (1812-1889), ordonné prêtre en 1837, évêque de Gap en 1867, il fut nommé à Amiens en 1879, puis archevêque de Bordeaux en 1883. Il sera créé cardinal par Léon XIII en 1889.
6Il s’agit des élections municipales de 17 et 24 septembre 1876.
7Le Maine-et-Loire est depuis longtemps acquis aux candidats conservateurs, en particulier dans l’ouest du département.
8Fitz-James, Édouard, Antoine, Sidoine de (1828-1906), propriétaire du château de la Lorie, près de Segré, en Maine-et-Loire, et donc voisin de Falloux auquel il est lié d'amitié. S‘étant ruiné au jeu, le duc cédera la Lorie en l’état en 1886 au marquis de Saint Genys.
9Saint-Genys, Arthur de (1829-1887), peintre.
10Salmonière, Henri Goguet de la (1841-1923), légitimiste et catholique fervent, il avait combattu dans les rangs des zouaves pontificaux.
11Veillon de la Garoullaye, Jules (1814-1894).
12Pontbriand, Auguste Marie Louis Breil de (1806-1896).
13Commune de l’ouest du Maine-et-Loire.
14Narcé, Armand de (propriétaire du château de Champiré situé à Grugé-L’Hôpital, non loin du Bourg d'Iré. Battu en 1876, il sera néanmoins élu aux municipales de 1881.
15Jean-Baptiste Lemanceau, régisseur du domaine de Falloux.
16Jamin, Daniel Auguste ; il avait été maire de 1857 1878. J-B. Lemanceau avait sans doute œuvré en faveur de sa réélection, sans succès.
