1871 |
29 mai 1871
Alfred de Falloux à Jules de Bertou
Bourg d’Iré, le 29 mai 1871
Cher ami, j’hésitais encore à me rendre à Versailles malgré les appels bien pressants et malgré mon indignation croissante envers M. Thiers, mais les dernières nouvelles de Paris me causent une si profonde douleur qu’elle l’emporte sur tout et ne me laisse plus que l’impatience d’être fusillé à mon tour dans un dernier acte de dévouement. Je partirai donc demain mardi pour Angers ou mercredi si une crise me retarde. Il m’en coûte plus que je ne puis le dire de ne pas commencer par Rochecotte ; mais, dans de telles circonstances, je suis obligé de faire de même économie du temps et de mes forces. Personne ne le comprendra mieux que Mme de Castellane, j’en suis bien sûr, mais cela ne diminue pas mon regret.
Pour vous, cher ami, voyez ce que vous pouvez faire avec un ami si incommode ! Je passerai le mercredi à Angers soit que j’y arrive dans la matinée, soit que j’y sois arrivé le mardi soir, car j’y ai quelques affaires personnelles qui me prendront absolument quelques heures. Je n’ai pas besoin de vous dire combien je serais heureux si je vous vois aussi vous pouvais venir à Versailles, mais je vous répète que Mme de Castellane, pour vous comme par nous, passe avant tout, que vous n’ayez pas d’inquiétude à avoir pour moi en matière de soins puisque M. Jardry1 a la bonté de m’accompagner laissant sa charmante femme ici et ayant encore un peu de congé régulier de la part de son administration.
Je devrais et je voudrais écrire à Madeleine2 mais je suis si navré et si épouvanté pour la France de tant de crimes que je ne veux pas attrister les autres plus qu’ils ne le sont déjà et que je m’en rapporte à leur propre cœur pour juger tout ce qui se passe dans le mien.
Alfred
1Secrétaire de Falloux.
2Madeleine de Castellane (1847-1934), née Leclerc de Juigné ; elle était, depuis le 3 avril 1866, l'épouse d'Antoine de Castellane.
