1880 |
6 mars 1880
Jérome Penaud à Jules de Bertou
Paris, le 6 mars 1880
Monsieur le comte,
La discussion du Sénat1 se prolonge beaucoup plus qu’on ne l’avait tout d’abord espéré et le vote n’aura certainement pas lieu aujourd’hui, ce qui le renvoie à lundi ou mardi au plus tôt. En tout cas, il est impossible de savoir, même aujourd’hui, si le trop fameux article 7 sera rejeté ou voté. M. Jules Simon se prétend sûr d’une majorité de cinq ou six voix ; M. Jules Ferry en dit tout autant de son côté. Qui croire ? Le fait est que tout dépend d’une douzaine de voix qui peuvent voter avec la droite comme avec la gauche.
Les nouvelles du Bourg d’Iré continuent à être très satisfaisantes ; hier une carte de M. de Candé2, qui avait trouvé porte close, nous a appris son arrivée à Paris avec d’excellentes nouvelles. M. de Falloux en profite pour attendre le résultat de la discussion engagée devant le Sénat ; il a reçu de Mme de Castellane la plus instante prière de s’arrêter, ne fut-ce que quelques instant, à Rochecotte. Il prendra donc encore la route de Tours pour rentrer au Bourg d’Iré par Angers qu’il ne fera peut-être que traverser, pour ne pas retarder plus longtemps son arrivée. Mais vous saurez d’avance sa détermination, car il veut lui-même vous écrire demain ou après-demain longuement, pour vous dédommager un peu de tout mes mauvais petits billets.
Quant au nonce, M. de Falloux l’a trouvé au dîner de la princesse W[ittgenstein]3 ce qu’il avait trouvé quelques jours auparavant, c’est-à-dire très spirituel, d’un grand sens public écoutant tout de bonne grâce, même le mot suivant que l’on prête à M. Jules Ferry : « Comment peut-on dire que je ne suis pas dévot ? J’ai fait brûler un cierge à Notre-Dame de Fourvière4, qui m’a aussitôt accordé un discours de Lucien Brun5 !»
M. de Falloux à la bonté de me donner maintenant quelques jours de vacances et je pars sans prendre un instant, pour St Méard6 où je suis attendu avec la plus vive impatience ! À cause du dimanche, je ne quitterai Paris que demain soir.
Veuillez toujours me compter, Monsieur, au nombre de vos jeunes respectueux amis.
Bien à vous, Jérôme Penaud.
1Il s’agit de l'article 7 du projet de loi de Jules Ferry prévoyant d'exclure de l'enseignement les congrégations non autorisées.
2Paul Brillet de Candé (1837-1913), propriétaire foncier à Noyant-la-Gravoyère.
3Sayn-Wittgenstein, Karolina (1819-1887), princesse d’origine ukrainienne, écrivaine, elle était l’égérie de Franz List.
4La basilique Notre-Dame de Fourvière fût édifiée à partir d’une souscription publique en 1870 et consacrée en 1896.
5Brun Henry Louis Lucien (1822-1898), avocat et homme politique. Collaborateur de La Décentralisation de Lyon et de La revue catholique des institutions et du droit, il y défendit une fidélité inconditionnelle au comte de Chambord et à l'ultramontanisme. Élu en 1871 dans l'Ain, il fut l'un des quatre députés que le comte de Chambord avait désigné pour être les interprètes de sa politique. Élu sénateur inamovible en 1877, Lucien Brun fut, en 1875, l'un des fondateurs de la faculté libre de droit de Lyon.
6Commune de Haute-Vienne.
