CECI n'est pas EXECUTE 9 juillet 1885

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9 juillet 1885

Albert de Rességuier à Alfred de Falloux

Dieppe, 9 juillet 1885.

Cher ami, nous voici presque à la fin de notre séjour à Dieppe. Nous en partirons dimanche après la messe, avec l’intention de ne passer à Paris que la journée de lundi et d’en repartir pour Faye1, mardi matin, au bruit des premiers pétards de l’anniversaire de la prise de la Bastille. Berthe2 est pressée d’aller retrouver son mari et ses garçons. Elle est, du reste médiocrement satisfaite de ses bains de mer que de fortes palpitations, l’ont plusieurs fois, obligés d’interrompre. La petite Marie, au contraire s’en trouve très bien. Nous avons fait avant hier notre course à Eu3. La comtesse de Paris4 étant absente, Berthe s’est contentée de visiter le parc, la vie et les églises et de dire son chapelet devant le très beau tombeau des anciens comtes d’Eu et du duc de Guise, le Balafré5. J’ai, pendant ce temps-là, passé une bonne heure avec le prince qui devrait être notre roi et qui le serait, certainement s’il suffisait pour se faire acclamer par la France, d’avoir les bonnes intentions, le bon sens, l’honnêteté et la sagesse qui lui assurerait le règne réparateur dont elle a tant besoin. Nous avons, en vue des élections6, passer en revue tout le personnel et tous les détails des départements que je connais le mieux : Gers, Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne et Nièvre et j’ai été émerveillé de tout ce qu’il m’en a appris. Ce serait assurément, le meilleur des préfets ! d’où je n’entends nullement conclure qu’il ne sera pas un excellent Roi. Tout en faisant les mêmes réserves que vous, dans ma satisfaction de ce qui vient de se passer à Rome, je me reproche, de vous avoir trop indulgé dans votre abstention vis-à-vis de Léon XIII. N’était-ce pas une utile occasion de le féliciter ?

Que ne fait-on passer avec un grain d’encens!

Berthe et moi nous vous demandons de nous apprendre ce que c’est que le bienheureux Jean Colombini7, que dans un discours qui ne mérite du reste pas d’être lu, Mgr Di Rende8 a placé à côté de St Ignace comme étant : Les deux grands saints dont les disciples ont fait le plus de bien dans le monde. Mille tendresses.

Al.

P.S.

Cher ami, cette fois encore nos lettres se sont croisées. La chère vôtre m’arrive quelques heures après le départ de la mienne. J’en profite pour donner à Berthe par ce post-scriptum la satisfaction qu’elle réclame de vous transmettre sa protestation contre ce qu’elle appelle, très injustement, la sévérité de mon jugement sur le comte de Paris. Plus enthousiaste encore que Madame de Sévigné pour Louis XIV, elle n’a pas eu besoin d’y être encouragée par une parole et par un sourire, pour reconnaître en PhilippeVII un grand roi. S’il a jamais été question de fixer les élections au 16 août, je suppose que les nouvelles complications de Hué, du Cambodge et de Madagascar vont les faire ajourner, au moins jusqu’à la fin de septembre. Laissez-vous donc aller à la bonne inspiration que vous avez de combler Faye de joie par votre présence et que vous feriez mieux encore si vous y ajoutiez Pérignon9 ! Le pauvre Fezansac10 s’est laissé entortiller par Cassagnac11 comme votre sénateur par votre évêque, en acceptant pour le comité royaliste l’ingrate besogne de choisir entre deux bonapartistes. Ma visite a Eu aura eu du moins pour résultat de nous épargner cette corvée compromettante.

Al.

1Château de Faye, dans la Nièvre, domaine appartenant à la famille Benoist d'Azy.

2Berthe Benoist d’Azy (1850-1899), fille cadette d’A. De Rességuier, épouse d’Augustin Rose Ange Benoist d'Azy, baron (1829-1890).

3Château d’Eu, résidence d’été du comte de Paris, en Normandie.

4Marie-Isabelle d'Orléans, née María Isabel de Orleans y Borbón (1848-1919), épouse du comte de Paris.

5Henri de Guise (1550-1588), assassiné sur l’ordre d’Henri III.

6Il s’agit des élections législatives des 4 et 18 octobre 1885.

7Jean Colombini (1304-1367), fondateur de l’Ordre des Jésuates, il sera béatifié par Grégoire XIII.

8Rende Camillo Siciliano di (1847-1897), prélat. Exilé en France avec sa famille, il avait fait ses études à Orléans, auprès de Mgr Dupanloup et à Rome. Évêque de Tricarico en 1877, archevêque de Bénévent en 1878, il fut le successeur de Mgr Czacki à la nonciature de Paris de 1882 à 1887.

9Demeurant dans leur château, à Finham (Tar-et-Garonne), les Pérignon sont alliés des Rességuier, une des filles d'Albert de Rességuier, Geneviève (1842-1904) ayant épousé Dieudonné Henri Marie de Pérignon (1840-1889).

10Montesquiou-Fezensac, Philippe, duc de Fezensac (1843-1913).

11Paul de Cassagnac (1843-1904), journaliste, bonapartiste, député du Gers de 1876 à 1902.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 juillet 1885», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1885,mis à jour le : 31/10/2020