CECI n'est pas EXECUTE 19 juin 1885

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19 juin 1885

Albert de Rességuier à Alfred de Falloux

Dieppe, Seine inférieure, rue Aguado numéro 14 bis, le 19 juin 1885

Cher ami, moi aussi en ouvrant les yeux, j’ai bien regretté le bonjour matinal et quotidien de l’Hôtel des ministres1. Votre chère lettre, toute douce qu’elle m’a été, ne m’en a consolé que très imparfaitement ; mais elle m’a tout à fait consolé de n’avoir pas été à l’académie. Vous me rendez bien compte de la séance et de vos impressions dont je vais m’inspirer, tout à l’heure, à la réception du courrier qui nous apportera le discours de l’évêque d’Autun2, auquel je sais, d’avance, bien bon gré d’avoir remis à sa place le personnage surfait et peu sympathique de M. Duruy3 et de vous avoir, du même coup quelque peu réconcilié avec l’académie. Ne nous désintéressons pas plus d’elle que de la France elle-même, tant que l’une fera applaudir le public dont vous avez été si satisfait et que l’autre aura des larmes et des hommages pour ceux qui meurent comme l’amiral Courbet4. Dieppe n’ayant encore que très peu de baigneurs nous avons pu nous y loger à merveille, avec un balcon sur la plage et à deux pas du casino où Berthe5 et Marie6 vont se baigner. Le temps seul n’est pas tout à fait tel que nous le voudrions ; mais on nous promet une prompte réapparition du soleil qui nous a trop vite faussé compagnie. Nous avons du reste, de bonnes provisions de lecture au nombre desquels figurent le compte rendu des constitutions des jésuites par M. Louis René de Caradeuc de la Chalotais7, dont nous craignons Berthe et moi d’être moins mécontents que nous ne l’aurions été dans notre jeunesse. Nous vous embrassons tendrement, cela Dieu merci ne change pas !

Al.

P.S.

J’entends Marie dire : Maman l’addition n’est pas bien amusante, passons s’il vous plaît à la distraction !

1Falloux y demeure lors de ses brefs séjours à Paris.

2Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion About, Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques. Il fut élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

3Victor Duruy, ministre de l'Instruction et des Cultes depuis 1863. Duruy, Jean Victor (1811-1894), homme politique français. Professeur d’histoire et auteur de manuels, il fut amené sous la Monarchie de Juillet à donner des leçons d’histoire aux fils de Louis-Philippe. Apprécié de l’Empereur avec lequel il fut en contact au moment de la rédaction de son livre La vie de César, il fut nommé, le 23 juin 1863, à la tête du ministère de l’Instruction Public (séparé alors de l’administration des Cultes). Il conservera ce poste jusqu’au 17 juillet 1869. Mal vu des catholiques, son œuvre fut très importante  : il développa l’enseignement primaire, créa un enseignement postscolaire pour les ouvriers, favorisa l’enseignement féminin et introduisit la gymnastique dans les lycées.

4Courbet, Amédée-Anatole-Prosper (1827-1885), officier de ùarine français. Capitaine de frégate, puis capitaine de vaisseau, il sera nommé gouverneur de Nouvelle-Calédonie en 1879. Nommé vice-amiral le 1er mars 1884, il reçoit le commandement en chef de toutes les forces navales d'Extrême-Orient. A l’issue de la guerre franco-chinoise, au cours de laquelle les victoires s'enchaînent le 12 mars 1884, il est promu amiral. Rongé par le choléra, lors de sa participation à la campagne des Pescadores contre la Chine, il meurt le 11 juin 1885 à bord de son navire,le Bayard.

5Berthe (1850-1899), fille cadette d'A. de Rességuier.

6Marie Benoist d’Azy (1879-1960), sa fille.

7Louis-René de Caradeuc de La Chalotais (1701-1785), magistrat breton. Janséniste né le 6 mars 1701 à Rennes où il est mort le 12 juillet 1785, est un magistrat breton. Janséniste, procureur général du Parlement de Bretagne, il est l'une des principales personnalités du mouvement de la fronde parlementaire à la fin du règne de Louis XV. Opposant tenace des Jésuites, il est l’auteur d’un mémoire intitulé Comte rendu des constitutions des Jésuites qui contribuera à ma suppression de l’ordre.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 juin 1885», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1885,mis à jour le : 04/11/2020