CECI n'est pas EXECUTE 18 septembre 1855

Année 1855 |

18 septembre 1855

Alfred de Falloux à Vitor Cousin

Segré, 18 septembre 1855*

Cher M. Cousin, Dieu me sera témoin dans la vallée de Josaphat que c'est vous, vous le premier, vous le seul, dont la bienveillance formelle et réitérée ait autorisé en moi l'ambition de l'Académie1. Vous me pardonnerez donc j'en suis sûr, de venir à vous en toute confiance et simplicité dés qu'il en est question. J'en ai déjà usé ainsi vis-à-vis de vous dans plusieurs circonstances encore plus graves, et je m'en suis trop bien trouvé pour songer à m'en corriger.

Je comprends absolument comme si j'y étais, désintéressé, l'objection de l'homme de lettres; aussi ne veux-je pas la discuter avec vous en ce moment. Je viens seulement vous demander la permission d'aborder franchement, cher Mr., un autre ordre d'idées que me transmet M. Jourdain en sortant de chez vous. Vous désireriez me dit-il, me voir rajeunir un vieux livre ou en publier un nouveau.

Le nouveau est sur le métier2. Vous en connaissez depuis longtemps la pensée: elle est toute entière en l'honneur de nos idées et de nos luttes communes. Sans la guerre, l'ouvrage aurait déjà paru. Est-il compatible avec les préoccupations actuelles! Vous ne le pensez probablement pas, non plus que moi. En attendant ce moment opportun que je me tiendrai prêt à saisir, ai-je grand intérêt, mes amis en ont-ils un bien vif, à ce que je revienne sur mes vieux péchés? Je ne le puis imaginer. De quoi se compose donc ma candidature et de quoi se composera-t-elle en tout temps? De beaucoup de grâce des électeurs avant tout, puis de 2 ou 3 nuances qui, prises dans leur ensemble, m'ont quelquefois valu l'indulgence de l'opinion, mais dont aucune prise séparément ne peut et ne pourra jamais soutenir un interrogatoire sévère. Le soin d'une réédition me troublera dans mon travail principal que je creuse chaque jour davanatage et ne suffira pas pour réduire aus silence ceux qui voudront me dépecer du coté critique.Accordez-moi donc, cher Monsieur, de demeurer dans les conditions où vous avez bien voulu m'enhardir déjà, et laissez-moi justifier de mon mieux, après ou avant l'élection, selon les circonstances du dehors, par un livre mûrement médité, les hommes téméraires qui auront bien voulu se compromettre d'avancer sur mon nom!

Voici pour cette insistance, mon motif sans aucun essai de déguisement. Si une seule candidature politique ou semi-politique passe avant la mienne, je dois considérer cela comme un ajournement indéfini ou plutôt comme un refus net de m'admettre. Si mes ouvrages littéraires sont déjà trop vieux, mes services parlementaires subiront bien vite le même reproche. Je suis assez juste envers moi-même pour le sentir, pas assez détaché de toute relation avec mon pays et son avenir pour accepter sans murmurer la retraite entière et définitive. Il faut donc que je profite de l'entre chien et loup où je me trouve encore, et que ceux qui me veulent du bien m'y aident.

Voilà le fond de mon cœur; je vous le livre en résumé. Bientôt, je vous le porterai en détail à la Sorbonne même. Jusque là je ne vous demande qu'une chose, c'est de demeurer sans parti et de me garder les bons sentiments sur lesquels j'ai été toujours très heureux, très fier de me sentir appuyé, et que je mérite du moins, cher Mr, soyez en parfaitement convaincu, par l'attachement le plus plein de reconnaissance et de respect.

A. de Fx

 

 

 

 

*Paul Bonnefon, Deux élections académiques sous le Second Empire; le comte de Falloux et le poète Joseph Autran, L’Amateur d’autographes; n°1 janvier 1911.

1Falloux est alors candidat à l’Académie française.

2Falloux est alors en train de rédiger Le Parti catholique, ce qu'il a été, ce qu'il est devenu.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 septembre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 05/11/2020