CECI n'est pas EXECUTE 8 octobre 1842

Année 1842 |

8 octobre 1842

Rosalie Rzewuska à Alfred de Falloux

Rome, le 4 octobre [1842]

J’ai reçu votre lettre avec reconnaissance, il m’eût été bien agréable de recevoir plus fréquemment. Vous deviez m’écrire quatre fois par an à l’ouverture de chaque saison. Il en est arrivé autrement : de façon que les consolations que vous m’adressez aujourd’hui me sont arrivés comme une aumône faite par un cœur généreux…Mais est-ce de l’amitié ? Je me le demande. La foi qui n’ agit moins, est-ce une fois sincère. Vous avez raison de me croire malheureuse. Je le suis profondément. Préparée depuis longtemps à la cruelle perte que j’ai faite, ma douleur a été calme, je n’ai point éprouvé de surprise la plus sanglante que la mort de mes deux excellents fils1 avait faite dans mon cœur, s’est ouverte, s’est envenimée, je crois mais cependant je suis résigné. J’adore la sainte et terrible bonté de Dieu, je cherche à m’y soumettre avec amour. L’avenir de ce monde sans Calixte2 me parait encore incompréhensible, peut-être ne serait-il pas long pour moi. J’ai été malade pendant tout un mois, et ne peux encore me remettre. Votre frère3 m’a soigné comme un fils; il m’a consacré son temps non seulement d’une manière sainte, mais encore d’une manière aimable. Il m’édifiait d’abord puis il m’amusait en me distrayant, en me lisant des journaux, en me comptant des histoires, en causant agréablement comme s’il était né du bon temps de la France. Lorsque je voulais lui faire fête, je lui parlais de vous et de votre femme, alors son visage s’illuminait ; il retrouvait de la force de la santé, il retrouvait de la joie pour faire l’éloge la plus touchante de ce frère, de cette belle-sœur qu’il aime à l’adoration. Ah ! ce pauvre prêtre est bien dépaysé ici : il ne l’avoue point mais il n’est méconnu et isolé de tout lieu de cœur et même de société. L’état de sa santé m’effraye, il n’a aucun soin de sa personne : il ne mange que lorsqu’on pense à lui préparer quelque bouillon, quelque misérable côtelette. Il ne va chez personne : je ne vous ménage aucun de ces détails c’est vous prouver mon amitié. Occupez-vous un peu de ce cher frère qui fait si bien aimer votre aimable Marie4 et apprécier votre bonheur. Adieu, je vous remercie d’avoir songé à mon affaire parisienne. Je vais à Vienne, peut-être trouverez-vous quelque voyageur exact (il ne faut pas choisir un Polonais) qui peut-être voudra se charger du livre ou de l’horloge. L’abbé d’Arsence5 vous remettra du papier pour moi, veuillez par les bons offices Apponyi6 le faire arriver à mon adresse sous l’enveloppe du Chevalier Hussar Cons. à la Chancellerie d’État, à Vienne.

Adieu cher comte Alfred. Croyez à ma sincère et fidèle amitié.

 

Alexandra Rosalie Rzewuska (1788-1865)

1Stanislas Rzewuski (1806-1831) et Witold Rzewuski (1811-1832).

2Sa fille Calixte née en 1818, atteinte de phtisie, venait de décéder (20 juillet 1842) à l’âge de 24 ans.

5?

6Famille de diplomates autrichiens. Falloux avait des relations avec Rudolf Apponyi (1802-1853) qui avait été attaché à l'ambassade d'Autriche à Paris de 1826 à 1949. Il a laissé un journal intéressant, 25 ans à Paris (1826-1850). Journal du comte Rodolphe Apponyi, attaché de l'ambassade d'Autriche-Hongrie à Paris / publié par Ernest Daudet, Paris, Plon-Nourrit, 1913, 4 vol.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «8 octobre 1842», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Monarchie de Juillet, Années 1837-1848, Année 1842,mis à jour le : 14/11/2020