CECI n'est pas EXECUTE 7 janvier 1868

Année 1868 |

7 janvier 1868

Théodore de Quatrebarbes à Alfred de Falloux

 

7 Janvier 1868

Mon cher ami, vous m’avez témoigné trop d’intérêt et d’amitié pour que je laisse une seule de vos lettres sans réponse. Je veux donc vous dire encore une fois tout le bien qu’elles ont fait et vous en remercie du fond de mon âme. Je sais d’ailleurs que vous aimiez Bernard1, que vous saviez apprécier son cœur, son dévouement son héroïsme et sa foi. Jamais peut-être je laisse plus pur n’a été couronné par une plus sainte et glorieuse mort. L’admirable défense de Monte Rotondo2 a préservé Rome du pillage des barbares. Il eu été l’âme en la prolongeant pendant deux jours, en détruisant la veille même de l’attaque 1 km de chemin de fer, enfin en faisant éprouver des pertes telles à l’ennemi que Garibaldi3 est resté trois jours sans oser avancer et attendant des renforts, ce qui a permis à l’armée pontificale de se concentrer sur Rome, et à l’armée française d’arriver à temps. Les Garibaldiens ont avoué 750 hommes hors de combat, les habitants du pays en élevaient le chiffre jusqu’à 1.250. Ce résultat est dû presque uniquement à l’artillerie, qui a perdu 24 hommes sur 35, tandis que l’infanterie n’a pas eu un seul homme blessé. Elle combattait aux couverts derrière des murs crénelés, tandis que Bernard, pour atteindre l’ennemi, se faisait ouvrir les portes et combattait à découvert. Blessé et couvert de sang, il pointait encore ses pièces, son dernier coup de mitraille a été tiré à 60 mètres, sur une colonne de 1.000 à 1.200 hommes, qui venait en masse se ruer sur une des portes de Monte Rotondo. Trouée et percée en tout sous elle s’est dispersée, et a mis plus d’une heure à se reformer. Il a fallu alors presque emporter de force le valeureux enfant, qui donnait l’ordre d’en clouer ses pièces et de tuer ses chevaux si l’ennemi s’emparait de la place.

De ce moment toute résistance a été en quelque sorte finie, comme le disait à Louis le capitaine Coste. Vous savez ce qu’il a fait à Nevola. Charette4 croyait les chemins impraticables, ne voulait pas d’artillerie,. Les instances de Bernard comme il le dit dans son rapport, le firent changer d’avis. Puis il ajoute « que le tir fut dirigé avec une telle habileté que la place se rendit après deux heures de feu ».

« C’est en grande partie à Monsieur de Quatrebarbes que je doit le succès de la journée ; je ne puis assez me louer de son zèle infatigable et de l’intelligence avec laquelle il sut faire passer sa pièce dans des chemins impraticables et la porter ainsi sous les murs de Nevola. Du reste le lieutenant de Quatrebarbes n’a cessé dans cette courte campagne de montrer toutes les qualités d’un officier complet dans son arme, aussi bien que sage et persévérant dans les difficultés. »

Voici pour le soldat, un mot me suffira pour vous faire connaître le chrétien. La veille même de l’attaque de Monte Rotondo, il avait fait connaître à Rome la position de la petite garnison de Monte Rotondo, réduite à trois compagnies et à une section d’artillerie. Kanzler5 lui avait répondu de tenir aussi longtemps que possible, mais qu’il ne pouvait lui envoyer aucun secours, n’ayant lui-même à Rome que 1.500 hommes de garnison, y compris la gendarmerie. À quatre heures du matin Bernard allez trouver un père dominicain, frère de M. Kanzler et lui disait de sa voix douce et calme « dans une heure ou deux nous seront attaqués par cinq ou six mille Garibaldiens, mon devoir est de résister jusqu’à la mort. J’ai communié il y a trois jours, mais comme je prévois que Dieu me demande le sacrifice de ma vie, je viens vous prier de me confesser et de me donner l’absolution in pericolo mortes.

Vous savez que pendant trois jours, avant d’avoir une chambre séparée, il a été mêlé aux Garibaldiens. Son courage et sa vertu leur inspirèrent immédiatement le respect. Le Docteur Bertrans le soigne lui-même. Ses premières sœurs de charité furent Miss Mario et la comtesse de la Torre.

Pardon, mon cher ami, si je me laisse aller à vous conter tous ces détails, mais notre cher enfant ne nous sort pas de la pensée. Ma femme le pleure autant que moi. Nous voyons de nouveau notre foyer vide, et le bon et aimable enfant, qui remplacera Bernard, n’a pas encore 14 ans6 !

Vous savez qu’une fois transporté à Rome et réunit à son père, à sa tante, à sa sœur notre cher martyr ne s’est plus occupé que de Dieu et de sa famille. Il avait des tendresses d’enfant pour nous tous, et des élans de foi de première communion, il s’informait des notes de collège de son frère Louis, de son petit Joseph7, puis il priait avec ferveur et quand par hasard un souvenir triste jetait un nuage sur son front, en pensant qu’il ne lui restait plus que les trois doigts de la main droite, il le rejetait comme une mauvaise pensée et faisait aussitôt un acte de conformité à la volonté de Dieu. Le pape8 l’a béni deux fois, et lui a dit sur son lit d’hôpital des paroles ineffables. Le roi et la reine de Naples venaient le voir presque tous les jours après son amputation. Au collège il était un simple écolier, personne ne lui a connu à Rome une faute contre les mœurs, contre la charité. Le pape après la mort l’a proclamé un saint.Il est au ciel et cependant je pleure ! Adieu, cher ami, mes hommages à tout ce qui vous entoure.

1Bernard de Quatrebarbes (1840-1867), jeune officier ayant intégré les zouaves pontificaux chargés de repousser l’assaut des troupes garibaldiennes. Gravement blessé lors de l’assaut de Monte Rotondo, il succombera peu après à ses blessures.

2Monterotondo, ville de la province de Rome fut le théâtre les 25 et 26 octobre 1876 d’une bataille entre les troupes de Garibaldi pour la libération de Rome et pour tenter d’intégrer les États pontificaux à l’Italie et faire de Rome la capitale du pays. Après une résistance acharnée, les soldats pontificaux chargés de la défense de la ville furent contraint de se rendre aux Chemises rouges de Garibaldi.

3Garibaldi, Giuseppe (1807-1882), homme politique italien. Républicain révolutionnaire. Membre de la Jeune Italie de Mazzini, il fut contraint à l’exil en 1834 en Amérique du Sud. Revenu en Italie, il participa à la guerre contre l’Autriche en 1859. En mai 1860, il entreprit sa fameuse conquête de Naples et de la Sicile à la tête d’un millier de « Chemises rouges ». Il fut rapidement défait par les Napolitains. Il mena par la suite deux tentatives infructueuses pour conquérir Rome (1862 et 1867) et combattit pour l’Italie contre l’Autriche en 1866.

4Athanase de Charette (1832-1911). Colonel des zouaves pontificaux, il avait participé aux batailles de Castelfidardo (1860), Mentana (1867) et à la défense de Rome (1870). Blessé à Patay, le 2 décembre 1870, il sera nommé général auxiliaire.

5Hermann Kanzler (1822-1888), militaire allemand, il est alors commandant suprême des forces armées pontificales.

6Louis de Quatrebarbes, marquis de Quatrebarbes 1854-1930.

7Sans doute Joseph de Quatrebarbes (1859-1896).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «7 janvier 1868», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1868,mis à jour le : 19/11/2020