CECI n'est pas EXECUTE 26 mai 1882

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26 mai 1882

Armand de Pontmartin à Roger Audren de Kerdrel

Les Angles (Gard), le 26 mai 1882 (Lettre à M. de Kerdrel)

Monsieur et cher sénateur1,

Permettez-moi de vous détromper. Je ne pouvais pas recevoir de plus précieux encouragements (moi qui en reçois si peu) que la charmante lettre où je reconnais une fois de plus entre vous et moi une exacte communauté de sentiments et d’idées. Je me hâte d’ajouter que vous êtes pour moi le contraire d’un inconnu, d’abord parce que je n’ai jamais cessé de suivre avec la plus vive sympathie votre carrière politique, ensuite parce que nos rencontres ont été plus fréquentes que vous ne semblez le croire.

En un temps plus heureux ou moins malheureux, vous étiez comme moi convive de Monsieur Janicot2 chaque fois qu’il avait la bonne idée de réunir à sa table les patrons et les rédacteurs de son journal. Je n’ai pas oublié le charme que vous apportiez à ces réunions cordiales, la façon exquise dont vous nous prouviez qu’on peut être un homme politique très sérieux, sans renoncer à sacrifier aux grâces. Hélas ! Nous sommes loin de cette époque nous pouvions avoir à la fois des convictions, des illusions et des espérances. M. de Falloux personnifie pour moi ce que la droite aurait dû être pour changer les illusions en réalités, et, si l’on n’avait pas tant abusé de certains vers de Virgile, mes 24 colonnes auraient pu être remplacées par le classique Si Pergama….Quant à l’Opinion publique, mon tort (et j’en fus passé parmi petits déboires) fut d’accepter une position incompatible avec mes perpétuelles allées et venues de Paris à Avignon et d’Avignon à Paris. Je passai notamment dans le midi toute l’année 1851, qui finit par le coup d’État il est donc bien possible que certaines influences plus ou moins clandestines m’aient complètement échappées. M. Nettement pouvait être un écrivain remarquable et faire à volonté du Bossuet ou du d’Arlincourt, Mais au point de vue de la direction d’un journal, c’était une assez pauvre tête. De tout notre personnel de 1848, je crois qu’il n’y a plus d’autres survivants qu’Albert de Circourt3, Henri de Pène4 et moi. Le bon Circourt est revenu de ses exagérations ; H. de Pène a fait de l’éclectisme dans son Paris-Journal5, et moi, plus j’approche de ma fin, plus je reconnais que le salut était dans l’union et non pas dans le désaccord. Aujourd’hui je ne suis plus qu’un solitaire, un vieillard et un infirme ; mais le cœur bat toujours, surtout, Monsieur et cher sénateur, quand je reçois une lettre telle que la vôtre, et quand je puis vous exprimer avec une reconnaissance mes profondes sympathies.

A. de Pontmartin

 

1Roger Audren de Kerdrel était entré au Sénat en 1876.

2Janicot, Gustave (1830-1910), journaliste légitimiste. Secrétaire de Genoude puis de Lourdoueix, rédacteur à la Gazette de France dont il prit la direction du bulletin en 1861.

3Albert de Circourt (1809-1895), militaire, puis historien. Officier de marine démissionnaire après la chute de Charles X, il se consacre à ses travaux d’historien et au journalisme. Il sera nommé conseiller d'État en 1872.

4Henry de Pène (1830-1888), écrivain et journaliste.

5Journal créé par Henry de Pène en 1868.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 mai 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 27/11/2020