Année 1868 |
28 février 1868
Marie Amélie de Lamoricière à Alfred de Falloux
Le Chillon1, 28 février 1868
Chère Madame,
Vous me permettrez de vous transmettre le résultat de la démarche faite lundi dernier seulement par M. de Corcelles auprès de Baroche2. Il paraît que celui-ci n’a pas été trop mal, mais à rejeter sur les artistes illustres et impériaux, les oppositions faites par le gouvernement au projet du monument Viollet-le-Duc entre autres, se pose comme très froissé avoir été écarté du concours etc.
tout cela est puéril car nous savons, si le régime se laisse intimider par ses très humbles et flatteurs serviteurs! De tout cela il paraît que Baroche a proposé d’appeler 2 statuaires, de plus M. Paul Dubois3 et de faire approuver ou discuter par eux, séance tenante, le projet. Après quoi on se mettra à l’œuvre. M. de Corcelles a prévenu le Général Changarnier de ce qu’il a fait, celui-ci a donné son adhésion à la proposition, mais l’a-t-on exécuté déjà ? Je l’ignore. C’est un pas de fait mais un dernier effort du comité me semble nécessaire pour trancher définitivement la question. Assurément l’avis de Monsieur de Falloux sera d’un grand poids dans la balance et j’espère qu’il le donnera pour sortir du vague actuel.
Ma mère4 me dit que le général Changarnier est tout disposé à prendre un parti décisif.
Notre ami M. De la Haye dans son dévouement s’agite vivement dans l’attente d’une décision, j’en suis fort touchée, mais il n’a pu me décider à sortir de la réserve que je m’étais imposé au milieu du débat et j’ai su avec bonheur que vous approuviez cette impression de ma part.
Je pense que Monsieur de Falloux va être fort ému de l’assignation envoyée à l’Union de l’Ouest5, j’espère que sa santé est au moins bonne et qu’elle lui permettra de lutter avec sa vaillance ordinaire pour combattre ses iniques persécuteurs.
Chère Madame, mes enfants me rapportent des nouvelles de M. de F qu’elles ont vu à L’Isle6, Souffrante depuis 15 jours, je ne pouvais m’y rendre et alarmée des nouvelles de notre pauvre malade j’ai désiré y envoyer mes chères filles. Hélas, elles me rapportent de navrants détails, nous touchons au terme de la vie de ce cher enfant ! La résignation de tous est égale à l’angoisse mais quels déchirements ? Dieu seul peut le soutenir !
Veuillez chère Madame offrir mon respect à Madame votre mère, recevez le avec elle et que Mademoiselle Loyde me permet de joindre mon souvenir à celui que lui offrent ses amies.
D’A. De la Moricière
Ma mère me dit que la guérison complète de M. de Montalembert est assurée pour dans quelques mois.
1Domaine des Lamoricière au Louroux-Béconnais, en Maine-et-Loire.
2Pierre-Jules Baroche (1802-1870), avocat et homme politique ; élu député de Rochefort en 1847, il s’opposa à la politique conservatrice de Guizot. Rallié à la Seconde République, il se fait élire à la Constituante et à la Législative où il devient un membre influent du Parti de l’Ordre. Ministre de l'Intérieur (15 mai 1850), puis des Affaires étrangères (10 avril 1851). Ayant applaudi favorablement le coup d'État, il fut chargé d’établir les lois organiques du nouveau régime. Il devint président du Conseil, puis fut ministre de la Justice et des Cultes de 1863 jusqu’au 17 juillet 1869, date de sa démission.
3Dubois, Paul (1829-1905), sculpteur et peintre français. S'inspirant du tombeau des Médicis, il réalisa le cénotaphe du général Lamoricière érigé en la cathédrale de Nantes qui sera son œuvre majeure.
4Marie Paule Sophie de Montagu-Beaune (1805-1880).
5L'Union de l'Ouest venait d’être assigné à comparaître au tribunal pour diffamation contre le sieur Cesbron, instituteur à Thorigné.
6Le domaine de l'Isle-Briand, au Lion d'Angers, en Maine-et-Loire, appartenait alors à Charles Emmanuel d’Andigné de Mayneuf. Il sera racheté en 1872 par le vicomte de Trédern pour sa femme Jeanne-Marie Say (1848-1916), veuve depuis le 6 avril 1871 du marquis de Cossé-Brissac.
