CECI n'est pas EXECUTE 14 février 1866

Année 1866 |

14 février 1866

Victor de Laprade à Alfred de Falloux

Lyon, 14 février 1866

Cher confrère et ami,

Les soulagements que vous me donnez me laissent bien des craintes sur le résultat de l’élection. Si nous n’avons ni Mgr Darboy1, ni M. Troplong2 ni M. Amédée Thierry3 pour lesquelles nous ne voterons pas, nous aurons peut-être un Henri Martin4 pour qui j’aimerais mieux ne pas voter. Je ne crois pas que dans l’état des choses M. de Champagny5 soit possible et malgré tous mes bons sentiments pour lui je ne sais pas si son succès serait très désirable pour l’académie. Nous avons besoin d’un choix qui puisse être populaire en étant indépendant. Jules Janin6 nous mettrait en règle avec une bonne partie du public et presque toute la presse. J’ai lu ce qui me faisait si fort penser à lui car il m’est personnellement très étranger. Je crois son hésitation sincère et naturelle, mais je pense comme vous qu’elle céderait à des avances formelles. Nous aurions peut-être assuré le résultat de l’élection si nous avions voulu dés ce principe nous engager avec lui. Que faut-il faire maintenant ? Devons-nous susciter sa candidature ? L’offre d’un second vote suffira-t-elle pour cela ? À vous dire toute ma pensée, je crois que nous ferions mieux d’aller directement au candidat possible. Je ne vois pas trop l’utilité de compter nos sept à huit voix sur un candidat aussi particulier à notre groupe que M. de Champagny. Jules Janin ne se présentera pas s’il voit que nous ne voulons voter pour lui qu’à un second tour, car il ne retrouvera peut-être pas tous ses amis de l’année dernière, et il lui faut une entrée de jeu un peu rassurante. Quand [sic] à nous après que nous aurons eu la satisfaction de donner huit voix à M. de Champagny, il faudra peut-être nous replier sur Henri Martin. Je lui préférerais à beaucoup J. Janin et vous êtes sans doute du même avis. Voyez si nous ne ferions pas mieux d’accepter résolument cette candidature. Je comprends que si le candidat adverse était Mgr Darboy, il serait peut-être difficile à quelques-uns d’entre nous de lui opposer Jules Janin, et je raisonne en homme qui ne verrait aucun inconvénient à le faire pour son compte.

J’ai reçu une lettre de M. de Champagny et je n’y ai pas encore répondu. J’ai suspendu de même celle que j’avais eu l’idée d’écrire à Pontard7 pour Jules Janin, le moment approche cependant et il faut se décider. Ne partez-vous pas bientôt pour Paris ? Je compte y être à la fin du mois. Je désirerais beaucoup que l’élection se fit avant Pâques. J’attends de nouveaux conseils avant de donner signe de vie à aucun des candidats.

À vous de tout cœur.

V. de Laprade

1Mgr Darboy, Joseph (1813-1871), archevêque de Paris depuis 1863 et sénateur. De tradition gallicane, Mgr Darboy faisait partie, aux côtés de Mgr Dupanloup, de la minorité des prélats qui souhaitaient le rejet de la définition de l’infaillibilité. Pris comme otage par la Commune, il sera fusillé le 24 mai à la prison de la Roquette.

2Troplong, Raymond-Théodore (1795-1869), juriste. Membre de la Cour de Cassation (1835) et pair de France en 1846. Il fut promu premier président de la cour d’appel de Paris par le prince président en décembre 1848 et se rallia au coup d’État. Entré au sénat, il fut le rédacteur du rapport sur la restauration de l’Empire.

3Thierry, Amédée Simon Dominique (1797-1873), frère du célèbre historien Augustin Thierry. Historien lui-même, préfet en 1830, maître des requêtes en 1838 et sénateur depuis 1860. Membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1841, il ne fut jamais élu à l’Académie française.

4Henri Martin (1810-1883), historien libéral., il était rédacteur au Siècle, quotidien anticlérical. Après des débuts en littérature, H. Martin s'était consacré à l'histoire. Son Histoire de France en 15 volumes (1833-1836) lui valut le grand prix Gobert à l'Académie des Inscriptions en 1844. Professeur d'histoire à la Sorbonne en 1848, il fut élu à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1871.

5Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine. Il sera élu le 29 avril 1869 en remplacement de Berryer, décédé le 29 novembre 1868. Bien que royaliste et clérical, il n’était pas réellement hostile à Napoléon III.

6Jules Janin (1804-1874), écrivain et critique dramatique. Auteur prolifique, il collabora à de nombreux périodiques.

7Ponsard, François (1814-1867), auteur de pièces de théâtre, chef de file de la mouvance antiromantique. Proche du pouvoir, il avait été élu à l’Académie française avant Falloux, le 23 mars 1855.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 février 1866», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1866,mis à jour le : 25/12/2020