1871 |
14 décembre 1871
Victor de Laprade à Alfred de Falloux
Lyon 14 décembre 1871
Bien cher confrère et ami,
Combien de fois pendant ces douze horribles années ma pensée et mon cœur se sont tournés vers vous? L’accablement m’empêchait de vous écrire pendant mon court passage à Versailles, M. de Rességuier a eu la bonté de me communiquer d’admirables lettres de vous qui me navrent; car j’y voyais vos craintes et presque votre désespérance à vous qui depuis si longtemps soutenez notre courage, de cruelles souffrances m’ont chassé de Versailles dès les premiers jours de mai ; je n’ai pas cessé d’être tourmenté et imprudent depuis lors. J’avais cependant quelque espoir de me montrer à l’assemblée et à l’académie quand cette horrible température est venue me rendre encore plus malade et me fermer la route de Paris. Tout ce qui sera humainement possible pour y être le 28, je le ferai. Il s’agit de l’existence même de notre académie. C’est d’elle que je veux vous parler laissant tant d’autres questions plus graves. Mais puisque c’est tout ce qui reste debout de l’ancien monde des honnêtes gens, tachons de le conserver. Vous savez sans doute comme moi et, dans tous les cas de source certaine que les bonapartistes qui peut être liés nous satisfait <mot illisible> veulent nous faire élire M. Littré1 et ce qui est encore pire M. About2. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que M. Thiers qui continue si bien le tout promet les traditions napoléoniennes et qui vont gouverner contre les honnêtes gens avec la <mot illisible> adopte et patronne ces deux candidatures. Quoique la première me répugne fortement je ne le mets pas sur la même ligne que celle de M. About, ancien valet de plume de l’empire et qui pendant vingt ans a insulté nos croyances et nos personnes. L’élection de ce personnage serait notamment pour Mgr l’évêque d’Orléans3 une impardonnable injure et nous ne pourrions plus aller nous asseoir à l’académie. Si comme je le crois, vous êtes ainsi que moi cloué dans votre chambre, ne pourriez-vous pas causer à quelqu’un de nos confrères les plus considérables pour combattre le malheur qui nous menace ? Nos amis fort occupés à l’assemblée laisse les bonapartistes et les matérialistes brasser tout ce qu’ils veulent à l’académie. Veuillez les réveiller un peu. Je vais écrire pour mon compte à M. Vitet.
Avez-vous remarqué que M. About voyant l’élection du duc d’Aumale s’annoncer à l’académie, ce qui dans la presse depuis deux ou trois jours mot ill partisan politique de ce prince… enfin il nous faut éviter une pareille élection et je vous supplie bien d’employer votre influence en présence de tout ce qui s’écroule cet intérêt est bien mince, ne négligeons rien pourtant pour nous défendre même sur le petit champ de bataille.
Que Dieu nous soulage et nous rende la santé c’est le vœu bien ardent bien des hommes qui ont le plus d’admiration et d’affection.
V. de Laprade
j’ai deux candidats à mis, M. de Loménie4 et M. Saint René Taillandier un caractère quoique de la revue des deux mondes.
1Littré, Émile Maximilien Paul (1801-1881), lexicographe, philosophe et homme politique. Célèbre pour son Dictionnaire de la langue française, sa candidature en 1963 fut âprement combattue par Mgr Dupanloup qui lui reprochait son athéisme. Il sera néanmoins élu le 30 décembre 1871, ce qui avait amener Mgr Dupanloup à donner sa démission en signe de protestation.
2Directeur du XIXe Siècle, très anticlérical, E. About s'était porté candidat à l'Académie française. Battu à deux reprises, la première fois contre A. de Broglie, puis contre le comte de Pongerville, il sera élu le 24 janvier 1884.
4Loménie, Louis de (1815-1878), essayiste. Professeur de littérature française au Collège de France et à l’École Polytechnique, il est l'auteur d'une importante Galerie des Contemporains illustres par un Homme de rien, en 10 volumes (1840-1847). Il avait été élu à l'Académie le 30 décembre 1871 en remplacement de P. Mérimée.
