CECI n'est pas EXECUTE 1er octobre 1883

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1er octobre 1883

Albert de Broglie à Alfred de Falloux

Broglie (Eure), 1er octobre 1883

 

Cher ami, j’aurais dû vous remercier plutôt de votre affectueux souvenir.

Tout ce qui touche à cette malheureuse affaire de l’Union générale1 m’est en effet très douloureux : plus douloureux qu’alarmant. La fortune de ma belle-fille, beaucoup plus considérable que celle de mon fils2 est complètement à l’abri et l’avait été mise d’avance par son contrat de mariage qui est entièrement dotal. La mienne n’a été engagée en aucune manière, pas même par un simple compte courant. De plus le syndic a évidemment le désir d’une transaction et je crois qu’on y arrivera moyennant des sacrifices. Le plus grave est l’inconvénient pour un homme jeune de débouler dans la vie par une mésaventure de cette espèce. Ce chagrin et par suite le découragement et le désarroi <mot illisible> dans un temps qui porte déjà à ce genre d’abattement.

La situation nouvelle est pourtant de nature à relever les courages, surtout de la jeune génération qui allait visiblement défaillir. Il y a certainement un heureux présage dans ce mouvement très général et très généreux qui a porté tous les ennemis de la maison d’Orléans à se déclarer dès le premier soir, pour le nouveau chef3 (comme nous disons) de la maison de France. L’intrigue dont vous m’aviez parlé bien souvent a apparu tardivement et maladroitement de manière à permettre au prince de faire reconnaître son droit légitime, en ayant l’air de braver les défenseurs excessifs et à outrance de ce principe. C’est une bonne fortune dont il a très résolument profité et ceux qui l’approchent sont très contents de son attitude et de son langage. Tout cela est fort bon : mais les difficultés sont grandes, et leur être commence, comme disait Gambetta (sans se tromper) de la république. La plus grande est qu’on lui demande d’agir quand le bon sens commande d’attendre. Il est certain qu’il ne peut arriver que par les fautes et les grandes fautes de la république, et que dès lors il faut les laisser venir. Mais si la masse du pays est loin d’être encore en état d’être mis en mouvement, la masse conservatrice est lasse d’attendre et peut se décourager, si on le force de rester l’arme au bras. Les forces et les acteurs qui ont leur organe dans l’Univers peuvent reprendre alors l’avantage. Et puis, si la crise inévitable allait arriver du dehors et par l’étranger ! Quelle situation pour la monarchie ! j’en avais la chair de poule tout en lisant l’accueil fait à Alphonse XII4 qui est l’ami très personnel de son ancien beau-frère.

Mille amitiés tendres, cher ami, j’espère toujours après le 21 pouvoir m’échapper quelques jours du côté de la Touraine.

1Suite à de multiples opérations de spéculation L'Union générale, la banque catholique fondée en 1878 par Eugène Bontoux s'était effondrée en janvier 1882 entraînant avec elle la faillite de plusieurs agents de change de la Bourse de Lyon puis de la Bourse de Paris et de ceux, nombreux au sein de l’élite catholique, qui lui avaient confié leur argent.

2Broglie, François Marie Albert de (1851-1939), militaire. Il épousa le 10 juillet 1884 Jeanne Émeline Cabot de Dampmartin (1864-1901).

4Alphonse XII (1857-1885), il avait épousé Mercedes d’Orléans en 1878.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «1er octobre 1883», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1883,mis à jour le : 26/01/2021