CECI n'est pas EXECUTE 26 mai 1882

1882 |

26 mai 1882

Albert de Broglie à Alfred de Falloux

Paris, 26 mai 1882

Cher ami, j’ai trop tardé à vous écrire que tout était arrangé du côté de Rome, grâce, je le pense, au moins en partie, à votre bonne influence. Ainsi voilà un grand scandale prévenu et les lois de la nature reprenant leurs cours, suivant les règles de l’intérêt bien entendu. Évidemment il peut y avoir des manques d’intelligence et de générosité chez l’auguste personne avec qui nous avons à traiter désormais. Mais nous avons tant souffert de l’obstination des illuminés, je préfère ce défaut, même à beaucoup des qualités qui nous ont joué tant de tours.

Je n’ai qu’un moment pour vous écrire, et pour vous parler de notre séance de l’académie d’hier, que vous lirez. La péroraison du discours de Renan1, cette charge à fond de train contre la démocratie et le suffrage universel, fera, je crois de l’effet en France. En tout cas, c’est un signe des temps. Vous remarquerez aussi le silence abyssal des deux discours sur la politique et même la personne de M. Thiers dont il eut été pourtant si naturel de parler à propos de M. Dufaure2.

Maintenant nous vous attendons le 8 juin. Doucet3 que j’ai vu ce matin craint que si Mazade4 est nommé, cela ne nous vaille un plus grand nombre de billets blancs pour l’évêque5. Il aurait voulu que Caro6 s’immolât et laissât passer Pailleron7 sans opposition. Mais Caro n’est pas disposé aux immolations. Je doute pourtant qu’il soit dans son intérêt de perpétuer la querelle.

Adieu donc et à bientôt. Si peu de temps que vous veniez, réservez moi une bonne heure de conversation. J’ai de bonnes choses à vous dire sur l’effet de votre publication qui dépasse de beaucoup ce que j’espérais pour des retours sur le passé. Là aussi il y a peut-être un symptôme. Le régime actuel pourrit très véritablement. Si au moins nous voyions quelque chose, je ne dis pas mûrir, mais au moins germer.

Albert

1Il s’agit de la réponse d’Ernest Renan au discours de réception de Cherbuliez, le 25 mai 1882. Cherbuliez Victor (1829-1899), romancier, auteur dramatique et essayiste. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, auteur de nombreux romans, il fut élu à l'Académie française le 8 décembre 1881 en remplacement de Jules Dufaure.

2Voir note supra.

3Doucet, Camille (1812-1895), directeur général de l’administration des théâtres, élu à l’Académie française le 7 avril 1865, secrétaire perpétuel en 1876.

4Mazade, Charles Louis Jean Robert de (1820-1893), historien et journaliste. Il était, depuis plusieurs années, le rédacteur politique de la Revue des Deux Mondes. On lui doit de nombreux ouvrages notamment L’Espagne moderne (1855), Lamartine, sa vie littéraire et politique (1872), L'opposition royaliste : Berryer, de Villèle, de Falloux (1894).

Candidat au fauteuil de Jules Dufaure, Charles Mazade sera largement devancé par Victor Cherbuliez, élu avec 17 voix. Il sera néanmoins élu le 7 décembre au fauteuil de Franz de Champagny.

5Mgr Perraud Adolphe Louis Albert (1828-1906), prélat. Prêtre de l'Oratoire de France en 1855, professeur d'histoire de l’Église à la Sorbonne en 1865, il fut nommé évêque d'Autun en 1874, puis cardinal en 1893.Normalien de la promotion About, Sarcey, Taine, Weiss, il fut l'auteur de plusieurs ouvrages religieux, l'Histoire de l'Oratoire en France au XVIIIe et au XIXesiècle, de plusieurs études sur le cardinal de Richelieu, le Père Gratry, d'oraisons funèbres et de panégyriques.

Il sera élu à l'Académie le 8 juin 1882 en remplacement d'Auguste Barbier qui avait exprimé, avant de mourir, le désir de l'avoir pour successeur, et reçu le 19 avril 1883 par Camille Rousset. Lorsque S. E. le cardinal Perraud arriva au conclave de 1903 qui suivit la mort du pape Léon XIII, le cardinal camerlingue le complimenta et le félicita d'appartenir à l'Académie française.

6Caro Elme Marie (1826-1887), professeur de philosophie. Disciple de V. Cousin, il publia plusieurs ouvrages de philosophie spiritualiste et fut élu contre H. Taine à l'Académie française le 29 janvier 1874 en remplacement de Ludovic Vitet.

7Pailleron Edouard (1834-1899), poète et auteur de comédies. Journaliste, il collaborait notamment à La revue des deux-mondes. Il avait été élu à l’Académie française en 1882. Son discours de réception fut prononcé le 17 janvier 1884.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 mai 1882», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1882,mis à jour le : 30/01/2021