CECI n'est pas EXECUTE 9 décembre 1881

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9 décembre 1881

Albert de Broglie à Alfred de Falloux

9 décembre 1881

Cher ami, nous avons à peu près réussi. Manuel1 a été écarté par un choix assez médiocre, Pasteur a une élection triomphante. Quant à la dernière je suis resté fidèle à Mazade2 quatre tours, au cinquième la peur a pris à tout le monde que l’académie se rendit ridicule en remplaçant M. Dufaure par un romancier et un vaudevilliste démodé que personne ne connaît plus, M. Auguste Maquet3 et c’est ainsi que s’explique le succès de Cherbuliez4. En somme étant donnée la circonstance le résultat n’est pas mauvais.

J’ai bien reçu le testament de Madame de Pompadour qui m’a beaucoup intéressé à lire, mais je ne savais à quelle main je le devais. Il portait le timbre de Combrée5, et j’avais peine à croire qu’il sortit du séminaire. Milles remerciements

L’article de Cumont m’a bien diverti, Mais hélas ! J’ai peur qu’il ne convertisse pas, la folie est plus aiguë que jamais aussi je conçois très bien l’irritation de l’évêque d’Amiens6. Mais la lettre n’est pas heureuse. Il a l’air de dire : « si je n’ai pas causé avec M. Paul Bert7, ce n’est pas faute d’envie : j’attends qu’il me fasse un signe ». C’est difficile à défendre surtout quand on sait qu’il y a en ce moment des coureurs d’évêchés qui ont l’impudeur de hanter le nouveau ministre des cultes nous vivons au milieu des écueils de tout genre et chacun est plus préoccupé de celui auquel il voit son petit navire personnel près de toucher. Ayez de l’indulgence.

Decazes8 m’envoie une correspondance entretenue avec M. de Damas par l’intermédiaire du jeune Princeteau9, et à la fin de laquelle le dit Damas finit par convenir qu’il n’a su ce qu’il disait. Mais il en convient d’assez mauvaise grâce, et j’engage Decazes en prenant acte sévèrement du désaveu à lui signifier que la prochaine fois le démenti sera public et toutes les pièces publiées. Je vous montrerai ces misères quand nous nous verrons.

Mais quand ? J’ai bien de regrets à ces deux jours. Mille affectueux sentiments plus affectueux que jamais.

Broglie

1Eugène Manuel (1823-1901), homme de lettres, poète. Profondément attaché à la République, il fut chef de cabinet de Jules Simon en septembre 1870, il est par ailleurs l'un des fondateurs de l'Alliance israélite universelle en 1860. Il deviendra inspecteur de l'académie de Paris en 1872, puis inspecteur général de l'instruction publique en 1878. Il ne sera jamais élu à l’Académie française.

2Mazade, Charles Louis Jean Robert de (1820-1893), historien et journaliste. Il était, depuis plusieurs années, le rédacteur politique de la Revue des Deux Mondes. On lui doit de nombreux ouvrages notamment L’Espagne moderne (1855), Lamartine, sa vie littéraire et politique (1872), L'opposition royaliste : Berryer, de Villèle, de Falloux (1894). Candidat au fauteuil de Jules Dufaure, Charles Mazade sera largement devancé par Victor Cherbuliez, élu avec 17 voix.

3Maquet, Auguste (1813-1888), romancier et dramaturge français, Très lié à Théophile Gautier et à Alexandre Dumas.

4Cherbuliez Victor (1829-1899), romancier, auteur dramatique et essayiste. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, auteur de nombreux romans, il fut élu à l'Académie française le 8 décembre 1881 en remplacement de Jules Dufaure.

5Située non loin du Bourg d'Iré, la commune de Combrée abritait un collège catholique auquel Falloux, alors ministre de l'Instruction publique et des Cultes avait accordé, le 2 janvier 1849, le privilège de plein exercice. Falloux aimait à s'y rendre en compagnie de ses hôtes, pour y prononcer, à l'occasion, des discours au contenu le plus souvent politique.

6Mgr Guilbert Aimé Victor François (1812-1889), ordonné prêtre en 1837, évêque de Gap en 1867, il fut nommé à Amiens en 1879, puis archevêque de Bordeaux en 1883. Il sera créé cardinal par Léon XIII en 1889.

7Bert Paul (1833-1886), physiologiste et homme politique. Député radical en 1872, libre penseur très anticlérical, il devient ministre de l'Instruction publique et des Cultes de novembre 1881 à février 1882. Prenant ses distances avec les radicaux, il soutint la politique de Ferry, devenant un farouche partisan de la politique d'expansion coloniale. Le 31 janvier 1886, il fut envoyé au Tonkin comme résident général. Emporté par le choléra, il y mourut quelques mois plus tard (11 novembre 1886).

8Decazes et de Glücksberg, Louis de (1819-1886), homme politique. Élu député orléaniste de la Gironde à l’Assemblée nationale de 1871, il fut l’un des chefs de file du centre droit. Devenu ministre des Affaires étrangères (1873-1877), il dénoua la crise franco-allemande de 1875.

9Les Princetau sont apparentés aux Decazes, Pierre Théodore Princteau (1782-1853) ayant épousé, en 1805, Marie Zélie Decazes.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 décembre 1881», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1881,mis à jour le : 01/02/2021