CECI n'est pas EXECUTE 12 décembre 1880

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12 décembre 1880

Albert de Broglie à Alfred de Falloux

12 décembre 1880

Cher ami, j’ai eu M. de Loménie1 qui était déjà rassuré par une seconde conversation avec Lavedan ; je verrai Lavedan, pour savoir exactement ce qui s’était passé. Vous connaissez la famille Lenormant2 : le tact et la finesse ne sont pas les qualités dominantes, et la susceptibilité est facilement éveillée. Le jeune homme, très excellent d’ailleurs, et annonçant une véritable distinction, a cependant les caractères de la race. Je l’ai engagé à m’envoyer les épreuves du nouveau Mirabeau3 pour peu qu’il eut une difficulté avec le directeur. Je n’en serai pas fâché à plus d’un point de vue. Les deux premiers volumes contenaient sur les femmes de cette famille, un peu sauvage, des détails d’une crudité révoltante qui ont justement choqué de très honnête descendants des intéressés. Le marquis de Mirabeau4 et Viel-Castel5 lui-même (petit-fils de Mme du Salviac) s’en sont beaucoup plaints. C’est encore un effet, du peu de finesse de Lenormant de n’avoir pas compris qu’on peut, qu’on doit même laisser tout dire sur des grands-pères, qui appartiennent à l’histoire, mais que même dans le passé, la réputation des femmes doit être ménagée.

Vous avez vu nos débats du sénat. Rien n’est plus triste, je crois que nous faisons au Sénat tout notre devoir. Mais notre impuissance est grande et chaque jour constatée. La majorité du Sénat pense comme nous, sent comme nous. Voilà très clairement où on le mène, et suit comme des moutons qui vont à l’abattoir. C’est la plaine de la convention, et la majorité du corps législatif notant la chronique et Sadowa. Le caractère national est incorrigible, et cette facilité de natures relativement honnêtes à subir toutes les impulsions du vent qui souffle, n’en est pas un des plus beaux traits.

L’horreur de notre situation est qu’on ne sait que désirer. Il n’y a point de solution heureuse à l’horizon et nous n’avons que le choix entre la durée de l’État languissant et chaque jour déclinant où nous sommes avec une crise aiguë et violente. La fin, dans les deux cas est pareille, mais il n’est pas certain que le mal économique ne sache pas pénétrer le goupillon plus avant dans le corps social.

Priez pour nous, cher ami et croyez à ma vive affection.

Broglie

 

 

1Loménie, Albert Louis Charles de (1856-1910), auditeur au Conseil d’État. Il est le fils de Louis de Loménie.

Loménie, Louis de (1815-1878), essayiste. Professeur de littérature française au Collège de France et à l’École Polytechnique, il est l'auteur d'une importante Galerie des Contemporains illustres par un Homme de rien, en 10 volumes (1840-1847). Il avait été élu à l'Académie le 30 décembre 1871 en remplacement de P. Mérimée.

2Lenormant Charles (1802-1859), archéologue, il dirigea le Correspondant de 1845 à 1855. Son épouse Amélie née Amélie Cyvoct (1804-1893), petite nièce et fille adoptive de Mme Récamier. Elle collabora au Correspondant sous le pseudonyme de Léon Arbeau. Leur fils François Lenormant (1837-1883) fut également un collaborateur régulier du périodique des catholiques libéraux.

3Charles de Loménie préparait l’édition du 3e tome de l’ouvrage de son père Louis sur Les Mirabeau. Nouvelles études sur la société française au XVIIIe siècle qui faisait suite au tome 2 publié en 1879.

4Sans doute Gabriel de Riquetti de Mirabeau, marquis (1819-1884).

5Viel-Castel, Charles-Louis-Gaspard-Gabriel de Salviac, baron de (1800-1887), homme politique et historien. Directeur gade affaires politiques au ministère des Affaires étrangères pendant la monarchie de Juillet, il rentra dans la vie privée après 1848. Auteur d'un Histoire de la restauration en 20 volumes (1870-1870), il collabora à plusieurs reprises à la Revue des Deux Mondes.ologi


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 décembre 1880», correspondance-falloux [En ligne], 1880, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 04/02/2021