CECI n'est pas EXECUTE 17 août 1865

Année 1865 |

17 août 1865

Rodolphe Apponyi à Alfred de Falloux

Londres, 17 août 1865

Mon cher Alfred,

S’il fallait juger de notre affection mutuelle d’après notre correspondance, on pourrait la croire singulièrement affaiblie et refroidie, et cependant vous savez aussi bien que moi qu’il n’en est rien et que malgré mes négligences, je vous suis profondément et fidèlement attaché. Oubliez donc mes torts, laissez-moi vous embrasser tendrement et vous dire combien je suis désolé que votre tête continue à se si mal conduire et à influer si péniblement sur votre vie et vos mouvements, et même sur vos occupations. Votre piété et votre bonheur domestique contribuent assurément à vous faire supporter cette rude épreuve mais cela n’en est pas moins une vraie calamité pour vous et par conséquent pour vos amis. Je regrette aussi pour Alex1 qu’il profite si peu de vous pendant son séjour en France. Le pauvre garçon se faisait une fête de profiter de votre aimable invitation de venir au Bourg d’Iré, mais ils sont si peu nombreux à l’ambassade cet été et ils ont si énormément à faire, que je crains bien qu’il ne pourra se soustraire un seul jour à ses occupations de chancellerie. Au reste, entre nous soit dit, je crois qu’il ne tardera pas à dire adieu à sa carrière actuelle. La patrie l’appelle. Depuis que les affaires semblent s’arranger et qu’il existe l’espoir fondé d’une réconciliation sincère et durable, Alex ne rêve plus qu’à la réalisation de ses projets de prédilection, de s’établir en Hongrie, et de se préparer à y jouer un rôle. C’est une vocation trop ancienne et trop enracinée en lui pour que je veuille la combattre d’autant plus que les circonstances qui m’ont engagé à m’y opposer jusqu’à présent tendent à disparaître. Nous causerons de tout cela avec lui à Paris où je me rends la semaine prochaine pour quelques jours, en route pour Sochl, ma femme2 m’a déjà précédé et où je retrouverai ma mère3. Nous y passerons un mois ou six semaines en famille, après quoi nos projets sont encore incertains. Si le choléra n’y met obstacle, ma femme a bien envie de passer une partie de l’hiver en Italie, entre Rome et Naples qu’elle ne connaît pas. Sa santé se raffermit, grâce à Dieu, elle n’a besoin que de ménagement et porte ses 47 ans de la manière la plus brillante. Hélène4 est devenue une ravissante jeune fille, très sympathique et agréable sans être une beauté, un caractère charmant, d’une intelligence remarquable vive et gaie comme il convient à 17 ans. Elle sera présentée dans le monde l’année prochaine. Maman a subi ce printemps une de ses crises merveilleuses et spontanées, qui la débarrassent de l’eau qui s’était amoncelée dans son corps ; cette fois la crise avait tardé, l’eau était plus abondante et par conséquent elle a été plus éprouvée, surtout par la faiblesse et par la difficulté de respiration. Elle s’est déjà remise plus lentement, mais grâce à Dieu, elle est bien portante maintenant et entreprend son voyage d’Apponyi5 à Ischl6 avec courage.

Quant à moi, cher ami, je me fais vieux, de toutes parts la machine se détraque un peu. J’ai souffert tout l’hiver de rhumatisme et cet été d’une angine très opiniâtre qui m’a mis bien bas. Voilà notre bulletin de famille.

Quant à la politique il ne vaut mieux pas entamer ce chapitre qui serait intarissable. Je vous dirai seulement que j’ai bon espoir que les affaires intéressantes marcheront mieux chez nous, sous le nouveau ministère, composé de gens intelligents, énergiques, persévérants, bien intentionnés et très unis entre eux. On s’occupe surtout activement des finances qui sont la grande plaie de notre situation, et nous ôte souvent la liberté de nos mouvements. Adieu, cher, cher ami, si vous écrivez à Albert7 dites-lui la part que j’ai pris à ses joies de famille, et si vous voulez m’écrire à moi, adressez à Monsieur Dotz, Salgries n°17. Adieu, et rappelez-moi bien affectueusement aux souvenirs de votre chère femme8. Votre vieux et fidèle ami Rodolphe.

 

 

1Alexander Apponyi von Nagy-Appony (1844-1925), son fils, diplomate.

2Anne van Benckendorff (1818-1900).

3Marie Thérèse de Nogarola (1790-1874).

4Hélène Apponyi (1848-1914), sa fille.

5Château Apponyi de Lengyel, en Hongrie, domaine de la famille.

6Bad Ischl, ville de Haute-Autriche.

8Marie de Falloux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «17 août 1865», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1865,mis à jour le : 08/08/2022