1878 |
5 décembre 1878
Gaston d'Audiffret-Pasquier à Alfred de Falloux
Jeudi 5 décembre [1878]
Monsieur le comte,
Mes amis m’ont conseillé de me présenter de nouveau à l’académie ; j’ai gardé un souvenir si reconnaissant du bienveillant appui que vous avez donné à ma première candidature que j’ose espérer que vous ne m’auriez pas déconseillé cette nouvelle tentative. J’ai donc envoyé ma lettre ce matin et je veux que vous en soyez le premier informé. On m’assure que mes chances sont bonnes, que la politique sommeille, je ne peux le croire, il n’y a guère de trêve pour les modérés.
Si je ne vous avais su souffrant je n’aurais pas résisté au plaisir de vous dire le bonheur, le réconfort, que m’ont donné vos lettres, si vraies si hautes si chrétiennes. Quel supplice de voir sans cesse compromettre par ceux qui devrait les défendre, les causes qui vous sont chères, et je comprends que vous, qui plus et mieux que personne, leur avait voué votre vie vous n’ayez pas pu retenir un cri de douleur et d’indignation.
Ces nouvelles folies alourdissent votre fardeau et rendent plus vives nos préoccupations. Je me garderai bien de vous en parler en détail vous les savez mieux que nous. Et vous avez sur nous qui sommes dans la mêlée, qui dépensons nos forces dans les mille fracas de la vie parlementaire une grande supériorité. Aussi quand sortant de vos méditations vous rompez le silence, vous parlez une belle langue que nous avons désapprises, avec une justesse et une élévation de jugement qui nous frappe. Vos clamantis in deserto1 – c’est celle-là qui a annoncé le salut du monde.
J’espère que votre santé est meilleure, non pas pour moi seulement, pour nous tous, qui avons besoin de vous plus que jamais dans les jours mauvais qui se préparent.
Vous savez Monsieur le comte combien je vous suis fidèlement et affectueusement dévoué.
G. D’Audiffret-Pasquier
1La voix de celui qui crie dans le désert.
