CECI n'est pas EXECUTE 5 août 1885

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5 août 1885

Paul Andral à Alfred de Falloux

Châteauvieux1 5 août 1885

Cher Monsieur,

Notre ami Lavedans m’a écrit d’Evian pour me signaler une correspondance intéressante de M. de Talleyrand2, déposée à Bruxelles ; deux jours après, il m’a écrit qu’il allait en faire prendre copie pour Madame de Castellane. Je lui ai répondu immédiatement que je connaissais cette correspondance ; qu’on n’en aurait copie quand on voudrait et que provisoirement il y avait intérêt à la laisser dormir. Dans sa dernière lettre, notre ami Lavedan me dit que Madame de Castellane a renoncé à faire prendre copie parce que lui, votre ami, pourra lui faire communiquer la copie qu’en a M. Forneron3.

C’est ici que naît mon embarras. La correspondance est-elle authentique ou l’œuvre de ce misérable Perrey4 dont vous avez certainement entendu parler ? Je l’ignore ; mais dans le volumineux dossier qu’il a formé sur Perrey. M. de Bacourt5 ne parle pas de cette correspondance, parmi tous les faux qu’il a dépistés ; le faussaire était d’ailleurs si habile que la preuve serait difficile et le débat scandaleux. Or, fausse ou vraie, la correspondance est déplorable ; elle dénonce sans équivoque possible une liaison entre le prince de Talleyrand et la duchesse de Courlande6, grand-mère de Madame de Castellane. Forneron est le plus galant homme du monde et j’ai sa parole qu’il ne publiera ni ne communiquera les lettres en question. Mais comment refuser la communication qui lui sera demandée au nom de Madame de Castellane ? Comment la refuser sans donner à Madame de Castellane des préoccupations aussi tristes que la communication elle-même ? Et si ces lettres sont remises – remises même sans préparation – à cette pauvre femme que tant d’affreuses révélations ont éprouvée, quel chagrin pour elle ! Elle a bien assez de douleurs et de révélations nécessaires au conduit épargne celles qu’on peut lui épargner. J’ai fait ce que je pouvais en arrêtant le projet de copie ; Forneron éludera tant qu’il pourra si on lui demande une communication ; il lui répugne absolument d’aller jusqu’au refus, de peur de prêter à de mauvaises suppositions. Je n’ose prendre sur moi de dire la vérité à Lavedan, parce qu’elle ne m’appartient pas. Je viens à vous ; je vous expose ce qui est ; vous verrez si vous voulez laisser aller la vérité jusqu’à Madame de Castellane ; si vous pourrez le détourner de son projet de se faire communiquer ses lettres ou si vous voulez tout dire à Lavedan ; mais qu’y pourrait maintenant Lavedan lui-même ? En vous disant tout cela, je fais mon dernier effort et j’en suis récompensé en trouvant l’occasion de vous dire mes affectueux respects.

Andral

1Ville de Loir-et-Cher.

2Sans doute Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, communément nommé Talleyrand (1754-1838) et de ses Mémoires et correspondances.

3Forneron, Henri (1834-1886), historien et inspecteur des Finances.

4Il fut le secrétaire de Talleyrand de 1806 à 1826.

5Bacourt, Adolphe de (1801-1865), auteur d’un manuscrit autographe, Un incident de la vie de Mr de Talleyrand, ou Exposé des faits relatifs au Sr Perrey, son secrétaire particulier de 1806 à 1826.

6Troisième enfant légitime de Dorothée de Courlande, duchesse de Dino, et d'Edmond de Talleyrand-Périgord, duc de Dino, Pauline de Castellane elle est souvent donnée comme la fille naturelle de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord,


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 août 1885», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1885,mis à jour le : 22/02/2021