Année 1861 |
3 décembre 1861
Gustave de Beaumont à Alfred de Falloux
Beaumont la Charte, prés la Chartre sur Loir (Sarthe), 3 décembre 1861
Mon cher ami,
J’ai reçu il y a quelques jours vos deux nouveaux volumes. Je les ai déjà presque entièrement lus. J’en suis ravi et veux vous le dire tout de suite. Absorbé par l’éducation de mon second fils, à laquelle je me consacre entièrement, et auquel je fais trois classes par jour, je n’ ai le temps de rien lire ; et je vous lis cependant sans pouvoir vous quitter. Vous allez bien jouir de ce nouveau succès, qui, j’en suis sûr, va être immense dans le public. J’en suis heureux moi-même pour la mémoire illustre qui vous est si chère, et aussi pour vous, qui dans d’autres temps et dans un autre pays serait destiné à tant d’autres succès, non plus doux mais plus éclatant encore. Je ne pense jamais à l’ostracisme qui vous bannit de toute arène politique sans songer à tout ce que vos admirables facultés vous promettraient de nobles et glorieux triomphes ! Il y a cependant dans ce que vous faites aujourd’hui quelques satisfactions pour l’esprit et beaucoup pour le cœur. Au moins êtes-vous plus content de votre santé, et de celle des personnes qui vous sont les plus chères ? Vous êtes bien bon de vous être rappelé l’existence d’un solitaire qui n’est plus de ce monde, et qui chaque jour est plus profondément enterré. Cette année, au risque d’être pris pour des fantômes, nous avions projeté, ma femme et moi, d’apparaître à Paris pendant l’hiver et d’y passer un mois ou deux. Mais nous venons de bâtir, une moitié du château, dont l’agrément le plus positif se formule quant à présent en mémoire d’ouvriers : ce qui n’ajoute pas à nos voies et moyens, fort restreint de la nature. Je crains donc beaucoup que nos beaux projets pour cet hiver, ne soient ajourné à l’année prochaine. Quelle chance puis-je avoir de vous voir d’ici là, à moins que quelqu’élection dans mon académie, ne me fasse appeler pour donner mon vote ?
Veuillez, mon cher ami, présenter mes très respectueux hommages à Madame de Falloux ; j’ajouterai aussi mes remerciements, s’il était vrai, que l’adresse mise sur la bande d’enveloppes qui a servi à l’envoi de deux volumes fut de son écriture, comme j’ai cru le remarquer ?
Croyez aussi, je vous en prie, au bien sincère et constant attachement de votre tout dévoué de cœur.
G. de Beaumont
