CECI n'est pas EXECUTE 18 avril 1860

Année 1860 |

18 avril 1860

Gustave de Beaumont à Alfred de Falloux

Beaumont la Charte, prés la Chartre sur Loir (Sarthe), 18 avril 1860

Mon cher ami,

Je vous demande bien pardon de vous avoir fait attendre quelques jours cet envoi. Le beau temps, en ramenant partout la vie, nous a rendu aussi le mouvement des visiteurs, qui m’a fait regretter l’hiver. Je profite du premier jour de délivrance pour vous adresser ce précieux petit paquet. Combien j’ai été attristé, mon cher ami, de tous les sujets d’affliction que vous avez eue dans votre intérieur. Ma femme1 s’est associée bien sincèrement à tout ce que j’en ai éprouvé. Nous espérons maintenant que vos inquiétudes pour Madame de Falloux auront complètement cessé :et les vœux que nous formons à ce sujet sont bien vifs et bien sincères. Votre santé, mon cher ami, dont vous me parlez peu, est aussi bien cher à tous ceux qui vous connaissent, à ceux même qui n’ont pas toutes les raisons que nous avons de vous aimer. Prenez-en donc grand soin. Je ne sais si quelque avenir est réservé à ce pauvre pays mais si quelque chose un jour était possible, il faudrait pour cela quelques hommes et il n’y a si peu qui ait une valeur constatée ; vous me paraissez l’homme le plus précieux de notre temps. Je disais il y a très peu de temps la même chose à Lamoricière, que j’avais trouvé souffrant au Chillon2, sans me douter qu’il pouvait si tôt faire un pareil usage de sa santé. Il y a beaucoup d’inattendu dans cette destinée ; du reste je crois qu’il pourra beaucoup plus pour cette grande cause que ne pourrait un homme du parti catholique. Ayant passé dernièrement 24 heures à Paris, j’ai eu le plaisir de faire mon compliment à sa femme, qui, je crois va le rejoindre à Rome. J’ai vu aussi la femme de notre ami Corcelles ; de plusieurs lettres particulières qu’elles m’ont lues, j’ai tiré la preuve que l’état des populations romaines est bien loin de l’hostilité générale qu’on lui attribue contre le gouvernement du Saint-Père3 ; et en second lieu qu’il y a déjà et dès à présent quelques éléments sérieux pour l’organisation d’une bonne armée. Malgré le langage officiel adopté, je ne doute pas que le parti pris par Lamoricière, auquel on a pas osé se montrer opposant, ne soir en somme très désagréable, et hier encore j’en avais la preuve dans le langage que me tenait un parent du duc de Guiche, dont il était l’écho.

Un mot sur ces lettres que je vous envoie : vous y pourrez voir la trace de quelque marque faite au crayon ; apparemment ceci est l’ouvrage de Tocqueville 4; je n’y suis pour rien ; j’ai trouvé les lettres dans l’état où je vous les transmets. Je m’imagine que Tocqueville a fait ces marques, pour indiquer les passages qui le frappaient, et ceux auxquels il voulait répondre. L’écriture de Madame Swetchine est de celles qui, très jolies à l’œil, sont assez difficiles à déchiffrer ; et il faut une certaine habitude de sa calligraphie pour s’y reconnaître. Je suppose que Tocqueville avait besoin de quelques procédés matériels pour s’y retrouver au milieu de l’uniformité du caractère, mêlées quelquefois de germanismes, et donc une étude un peu patiente vous donne toujours la récompense dans quelque idée saillante ou quelque sentiment délicat. Quoiqu’il en soit, je suis, je vous le répète, tout à fait innocent de toute macule ; et j’avais besoin de bien me disculper à vos yeux d’une pareille profanation.

Je retiens votre bonne promesse pour l’envoi des lettres de Tocqueville aussitôt que vous serez de retour en Anjou. Mon travail est fort avancé ; et j’ai bien à cœur de réunir le plus tôt possible tous les éléments de ma publication. C’était avant-hier le triste anniversaire de Cannes5!

Adieu, cher ami, prenons courage. Je vous serre bien affectueusement les mains et suis tout à vous de cœur.

G. de Beaumont

1Clémentine du Motier de La Fayette, arrière-petite fille de La Fayette.

2Propriété du général Lamoricière située au Louroux-Béconnais, commune du Maine-et-Loire, située à quelques kilomètres du Bourg d'Iré.

4G. de Beaumont travaille alors à la publication de la correspondance de son ami.

5C’est lors d’un séjour dans cette ville qu’A. De Tocqueville est décédé.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 avril 1860», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1860,mis à jour le : 27/02/2021