CECI n'est pas EXECUTE 6 avril 1860

Année 1860 |

6 avril 1860

Gustave de Beaumont à Alfred de Falloux

Beaumont la Chartre près La Chartre sur le Loir (Sarthe), 6 avril 1860

Mon cher ami,

Lors de la publication de votre beau livre1, dans lequel votre succès personnel tout en se mêlant très doucement pour vous à celui de Madame Swetchine, en est cependant demeuré distrait. Vous m’avez témoigné un désir que j’ai eu le vif regret alors de ne pouvoir satisfaire. C’était de posséder les lettres écrites par Madame Swetchine à Alexis de Tocqueville. Je vous ai dit l’obstacle qui m’a empêché d’accomplir votre vœu. Je suis sûr que connaissant l’état déplorable dans lequel était la pauvre Madame de Tocqueville2, bien loin de l’accuser, vous vous êtes borné à compatir du fond de votre cœur à la disposition qui lui rendait impossible toute recherche dans de pareils souvenirs. Quoiqu’elle soit encore bien accablée, surtout en ce moment, qui touche à un cruel anniversaire, elle a pu cependant, à ma sollicitation, explorer quelques cartons, et elle vient de me remettre avec autorisation d’en faire le dépôt entre vos mains 14 lettres de Madame Swetchine, dont quelques-unes me paraissent d’un très grand intérêt. Veuillez me dire par quelle voie vous désirez que je vous les fasse parvenir ; le volume n’en étanr pas considérable, je crois que la voie de la poste serait la plus indiquée : qu’en pensez-vous ? Madame de Tocqueville me charge de vous dire, mon cher ami, qu’elle éprouve un véritable chagrin auquel vous pensez bien que je m’associe vivement, en songeant que cette remise vous est faite non seulement après la première, mais même après votre seconde édition. Il n’y a pas un moyen de faire autrement ; et encore, malgré les retards vous ne pouvez vous imaginer quels accès de désespoir et quels déchirements a produit dans le cœur de la pauvre femme, la revue même superficielle de ces papiers !

Maintenant, mon cher ami, il faut que de mon côté je vous adresse ma requête : le travail dont je m’occupe, et qui a pour objet de recueillir tout ce qui se rattache à la mémoire de mon pauvre ami Tocqueville est assez avancé. Sa correspondance choisie formera, je n’en doute pas, la partie la plus intéressante de cette publication. Quoi que ce soit le travail où l’éditeur a le moins à mettre, vous avez pu, par votre expérience, juger que c’est cela qui prend le plus de temps car le choix des lettres est toujours délicat, entre les objections qui naissent des noms propres qu’on ne veut pas blesser, et des opinions dont la liberté du temps présent peut rendre la manifestation peu opportune. Cependant mon travail, comme je vous le disais est fort avancé ; et j’ai réussi une collection de lettres, soit de France, soit de l’étranger, qui pourra je pense remplir un volume précieux pour le public. Vous m’avez mon cher ami, au mois août dernier, fait une promesse que j’ai le grand soin <mot illisible> ; c’est celle de nous remettre la lettre adressée par Tocqueville à Madame Swetchine, y compris celles dont vous publierez quelques fragments seulement ; nous attachons un prix infini a présenter la correspondance de Tocqueville dans son ensemble ; car c’est l’homme même que je veux peindre et nulle part on ne le voit mieux, tel qu’il était meilleur que dans ses lettres. Madame de Tocqueville me charge de vous dire combien elle vous sera reconnaissante de cette remise, qu’elle m’autorise à recevoir de vous ; et je n’ai pas besoin de vous dire combien moi-même je vous en saurai gré. Permettez-moi d’ajouter que vous mettrez le comble à votre bonté en me faisant cet envoi le plus tôt possible, dont la poste serait le mode le meilleur, à moins que le paquet à transmettre ne fut très gros, ce que je ne présume pas. En retour je vous enverrai de même, si vous approuvez ce moyen, la lettre de Madame Swetchine.

Je ne sais trop où vous trouver; vous n’êtes plus en Anjou ; ni sans doute à Versailles. Si j’avais le dernier annuaire de l’Institut, j’y verrais l’adresse de mon illustre confrère mais je n’ai rien ici, et ne suis jamais ailleurs. Du reste il n’y a que moi qui ignore où vous êtes, le facteur trouve toujours un homme comme vous.

Que de choses, mon cher ami, on aurait à se dire dans de pareils temps, en dehors même des chers intérêts qui nous occupent mutuellement ! Mais ce sont des sujets qu’on voudrait n’aborder qu’en les traitant à fond, et avec une indépendance qui ne permet guère le respect et l’inviolabilité des lettres, tel qu’on le pratique aujourd’hui. Je voudrais bien, mon cher ami, apprendre que vous êtes content de votre santé et de celle de Madame de Falloux. Notre vie ici s’écoule toujours la même, donc tranquille et pourtant animée par la variété des intérêts que nous y avons introduits. Le premier de tous pour moi l’école que je fais à mon petit garçon de neuf ans. Je mêle à cela un peu d’agriculture. Adieu cher ami, bien tendres et affectueux souvenirs.

G. de Beaumont

 

1Il s'agit de Madame Swetchine, sa vie, ses œuvres que Falloux venait de publier. Falloux qui préparait un livre sur la correspondance de Mme Swetchine était alors en relation épistolaire avec G. de Beaumont le chargeant de convaincre la veuve d'A. de Tocqueville de lui remettre les lettres échangées entre Mme Swetchine et le célèbre historien qui lui était, comme Falloux, très lié.

2Mary de Tocqueville, née Mottley (1799-1863), veuve d'Alexis de Tocqueville.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 avril 1860», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1860,mis à jour le : 27/02/2021