CECI n'est pas EXECUTE 26 décembre 1859

Année 1859 |

26 décembre 1859

Gustave de Beaumont à Alfred de Falloux

Beaumont La Chartre près La Chartres sur le Loir (Sarthe), 26 décembre 1859

Mon cher et très illustre confrère,

Je suis bien en retard avec vous. Je ne vous ai pas encore remercié de vos deux précieux volumes1 et de votre gracieuse lettre. J’ai besoin de vous dire mon excuse ; mon fils aîné, sorti de Saint-Cyr cette année ne vient que de nous quitter pour aller en Afrique. Cette séparation à long terme, a été pour sa mère une cruelle épreuve dont j’ai eu aussi ma part. Me voilà presque justifié à vos yeux n’est-ce pas ? Du reste mon émotion paternelle ne m’a pas empêché de vous lire ; et j’ai fait, ou pour mieux dire nous avons fait, Madame de Beaumont et moi, cette lecture avec un inexprimable intérêt. Vous avez recueilli déjà tant de suffrages et des plus solennelles que je ne vous donne ici mon sentiment que parce que vous témoignez le désir de le connaître. Ce sentiment est celui de la plus sincère admiration et de la plus vive sympathie. Je confonds dans mon admiration l’œuvre de Madame Swetchine et la vôtre ; sa vie si intellectuelle, sa fin si édifiante, sa pensée si originale, et votre notice, intéressante comme une monographie, instructive comme l’histoire. Je ne voudrais même pas établir de comparaison entre le mérite de la et de l’autre, s’entend bien que ce qui pourrait flatter votre amour-propre, n’irait point à votre cœur. Je crois cependant ne rien dire qui puisse vous blesser ou vous infliger, en affirmant que, tout en reconnaissant ce qui dans le grand succès du livre appartient à Madame Swetchine, nul ne contestera la part qui dans ce succès appartient à votre talent. Je vous félicite donc de tout cœur du beau monument élevé par vous à cette chère et sainte mémoire ! Savez-vous, mon cher ami, le souvenir de cette femme supérieure, vivant seulement dans la mémoire de quelques amis, ce fut éteint avec eux. Il vit maintenant dans la pensée de tous ce qui vous ont lu, et il y restera ; rien ne s’efface de ce qui est tout à la fois grave dans le cœur dans l’esprit. Vous le dirais-je, mon cher ami ? En vous lisant ces jours derniers je n’ai pas cessé non seulement de vous admirer, mais encore de vous envier. Ce pieux devoir que vous venez de remplir avec tant de bonheur envers une mémoire vénérée, vous savez qu’à ce moment même je travaille aussi à l’accomplir envers une vieille et bien chère amitié. Sûr d’y apporter le même sentiment, je suis certain aussi de ne point faire avec le même succès.

Je considère déjà comme un commencement de mon œuvre la publication (dont je vous remercie infiniment) les quelques lettres, d’ailleurs si bien choisies de Tocqueville à Madame Swetchine ; rien ne sera si bien fait que ce qui sera votre ouvrage. Je regrette bien que nous n’ayons pas pu mettre à votre disposition les lettres de Madame Swetchine, qui placé à côté des lettres de Tocqueville auraient encore ajouté à l’intérêt de celle-ci. Mon regret est certainement aussi celui de Madame de Tocqueville. Lorsqu’elle aura trouvé assez de force pour se remettre en face de tous ces souvenirs et pour fouiller dans les papiers de son mari, si, comme cela ne peut manquer, elle retrouve les lettres de Madame Swetchine, je suis bien sûr qu’elle s’empressera de remettre ces lettres entre vos mains, pour que vous puissiez, si vous le jugez à propos, les placer dans une seconde édition.

Croyez bien d’ailleurs, mon cher ami, que si dans le travail dont je m’occupe je viens à parler des relations que je sais avoir été jugé si précieuse pour Tocqueville, entre Madame Swetchine et lui pendant les dernières années de sa vie, je ne le ferais que dans des termes que je m’efforcerai de rendre digne de l’un et de l’autre. Je n’écrirai certainement rien sur ce sujet que d’accord avec vous, ou du moins en parfaite conformité d’idées et de sentiments.

Merci encore, mon cher ami, et tout à vous de cœur.

G de Beaumont

P.S. j’ai vu dernièrement, à Beaumont la Ronce2 Alex de Lambel3 avec lequel j’ai eu le plaisir de parler de vous et de votre beau livre.

 

1Falloux venait de publier Madame Swetchine, sa vie et ses œuvres, 2 vols.

2Commune d’Indre-et-Loire.

3Lambel, Alexandre Pierre François, comte de (1811-1904), grand propriétaire et maire de Fléville. Habitué du salon de Mme Swetchine, proche de F. Ozanam, il est lié d'amitié avec deux proches de Falloux, Jules de Bertou et Armand de Melun. Il est l'auteur de très nombreux ouvrages traitant de questions religieuses et une Vie de Frédéric Ozanam, Paris, Poussièlgue, 1880.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 décembre 1859», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1859,mis à jour le : 28/02/2021