CECI n'est pas EXECUTE 6 janvier 1880

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6 janvier 1880

Louis Besson à Alfred de Falloux

6 janvier 1880

Monsieur le comte,

Vous avez eu la bonté de faire quelque attention au mois de juillet dernier à mal-être sur P. Bert et de m’en adresser des compliments fort honorables pour moi mais trop peu mérité. Malgré que je vous fasse hommage de mes trois dernières lettres pastorales, qui touchent un peu aux questions du temps. Nous ne sommes plus écoutés, mais nous ne cessons pas d’écrire opportuni et importuni. Votre suffrage m’est trop précieux pour que je ne l’ambitionne pas, et que je ne m’estime singulièrement heureux de vous compter parmi mes lecteurs.

Un de mes amis de Franche-Comté, M. Édouard Grenier1, quatre fois couronné par l’académie française, auteur du Juif errant2, des poèmes, de Jacqueline Bonhomme etc me prie de s’informer s’il peut disputer à M. Labiche3 un des fauteuils vacants. Il a déjà été candidat en 1877, et il a eu sept voix. M. de Montalembert était son ami, Mgr Dupanloup son protecteur. Ses votants de 1877 étaient je crois le duc d’Aumale, Laprade4, Rousset5, Lemoine6, Taillandier, Mézières, Barbier7. Il croit que Sandeau8, Fleury, Taine9, Ch. Blanc10 seraient pour lui à présent, et même Caro11 et Ollivier12. Il m’écrit que si, dans votre groupe, il peut recueillir quelques voix, il tenterait l’aventure. On l’y encourage, il me consulte, je vous en parle un peu naïvement. Je ne connais pas les ouvrages de M. Labiche et il me semble qu’on peut préférer à un facile vaudevilliste un poste sérieux. Il n’y a pas un trait immoral dans les vers de Grenier, pas un trait d’impiété. Sa muse est spiritualiste, un peu chrétienne, teintée par-ci par-là de quelques reflets révolutionnaires. Mais c’est un ange en comparaison de tant de démons qui commencent à inonder votre docte corps. M. Grenier se respecte et respecte la langue. Je réponds de son ton excellent, de sa politesse et de sa grande distinction de manières et de sentiments.

Les évêques ne briguent plus vos fauteuils, pardonnez-leur de les briguer un peu pour leurs amis. Votre bienveillance envers moi, le souvenir de son éminence, les commerces que j’ai avec vous depuis 30 ans pour vos livres, vos discours, vos articles du Correspondant m’ont autorisé à vous faire cette lettre. Excusez-moi si dans ma recommandation pour Monsieur Grenier il y a quelque chose d’un peu indiscret. Je n’ai pas cru qu’il fut tout à fait déplacé de parler à Monsieur le comte de Falloux d’un candidat que M. de Montalembert avait aimé et à qui Mgr Dupanloup avait dit en 1877 : si j’allais encore à l’académie, je voterai pour vous.

Le commencement de 1880 fait dire à tout le monde que je vous souhaite la bonne année hélas ! Elle ne sera pas bonne, mais mauvaise, mais pire que les précédentes. Qu’elle les soit du mois pour vous en vous rendant la santé, en vous permettant d’écrire plus souvent, qu’elle le soit pour vous en nous donnant de vous lire, sans compter la joie que nous avons de vous lire toujours.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l’hommage de mes plus sincères et dévoués respects.

Votre très humble et très obéissant serviteur

Louis ev de Nimes

1Édouard Grenier (1819-1901) homme de lettres, poète et diplomate.

2La mort du Juif errant, 1857.

3Labiche, Eugène Marin (1815-1888), dramaturge et célèbre auteur de vaudevilles, il sera élu à l'Académie française, le même jour que M. du Camp, au fauteuil de Sylvestre de Sacy.

4Laprade, Victor Richard de (1812-1883), poète et littérateur. Il fut nommé professeur de littérature à la faculté des lettres de Lyon en 1848. De sentiment légitimiste et catholique libéral, il collabora au Correspondant et fut élu à l’Académie française le 11 février 1858. En 1861, suite à la publication, par le Correspondant, de ses Muses d’État, Laprade fut révoqué en tant que fonctionnaire et la revue reçut un avertissement.

5Camille Rousset (1821-1892), auteur d'ouvrages militaires. Il avait été élu le 30 décembre 1871.

6Lemoine, John (1815-1892), diplomate, journaliste et homme politique. Collaborateur puis rédacteur en chef du Journal des Débats, il écrivit également pour la Revue des Deux Mondes, lui fournissant plusieurs travaux sur la politique, des études sur l'Angleterre et des études biographiques. Entré à l'Académie française en 1875, il sera élu sénateur inamovible en 1880.

7Barbier Henri Auguste (1805-1882) poète satirique et écrivain, il était académicien depuis 1869.

8Sandeau, Jules (1811-1883), romancier et auteur dramatique. Conservateur de la Bibliothèque Mazarine en 1853, puis bibliothécaire du palais de Saint-Cloud, il était l'ami de Georges Sand et un habitué du salon de la princesse Mathilde. Il avait été élu au fauteuil de Charles Brifaut, le 11 février 1858.

9Taine Hyppolite Adolphe (1828-1893), essayiste et historien. Auteur d'un Essai sur Tite-Live couronné par l'Académie française en 1854, il avait publié deux ans plus tard Les Philosophes français du XIXe siècle, ouvrage dans lequel il critiquait la philosophie spiritualiste enseignée par l'Université. Son œuvre la plus importante demeure ses Origines de la France contemporaine qu'il commença à publier en 1876. Il collabora à plusieurs périodiques dont la Revue des deux Mondes et le Journal des Débats. Candidat à l'Académie française en 1874, il avait été battu par Elme Caro, ses idées philosophiques déplaisant à Mgr Dupanloup et à certains de ses proches. Considéré peu à peu par ceux-ci comme étant « anti-révolutionnaire », Taine sera élu le 14 novembre 1878 en remplacement de Louis de Loménie. Mort peu avant son élection, Mgr Dupanloup aurait même songé à lui apporter sa voix.

10Blanc Charles (1813-1882), critique d'art, il devint rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts et fut nommé directeur des Beau-Arts de 1848 à 1852 et de 1870 à 1873. Il était le frère de l'homme politique et historien Louis Blanc. Il entra à l'Académie le 8 juin 1876.

11Caro Elme Marie (1826-1887), professeur de philosophie. Disciple de V. Cousin, il publia plusieurs ouvrages de philosophie spiritualiste et fut élu contre H. Taine à l'Académie française le 29 janvier 1874 en remplacement de Ludovic Vitet.

12Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870 .Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.


 


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «6 janvier 1880», correspondance-falloux [En ligne], 1880, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 28/02/2021